Culture

Magie noire et sorcellerie

Un groupe d'intellectuels du Togo veut rendre au vaudou ses lettres de noblesse. Le premier rival n'est plus le catholicisme, mais les sectes protestantes qui prolifèrent en Afrique noire. Le quotidien français « Le Figaro » a enquêté sur ce phénomène et sur la renaissance de ces traditions mystérieuses, mélange de magie noire et de sorcellerie. Voici l'article du journal.

Devant la tribune officielle où siège le ministre de l'Intérieur togolais, le défilé s'emballe. Les adeptes des couvents vaudou ont du mal à quitter la scène. Des femmes tombent en transe. Un prêtre enfourne à pleine bouche un crapaud venimeux. Un autre s'enfonce un couteau dans l'Œil. Des fantômes de paille surmontés de cornes virevoltent sans fin, avant qu'un assistant ne les soulève pour montrer qu'il n'y a rien en dessous, rien que l'âme du Zangbeto, le gardien de la nuit. À Glidji, dans la moiteur de la lagune togolaise, le vaudou reprend droit de cité. C'était le vŒu des organisateurs du deuxième Festival des divinités noires. Des gens installés dans la vie : banquiers, ministres, journalistes… C'est le moment que choisit Yves Tété Wilson, notaire cravaté à l'allure réservée, pour apporter une précision importante : «Nous sommes tous catholiques pratiquants» , souligne le président de l'association Acofin, du nom du cor traditionnel qui appelleles ancêtres. L'observateur étranger perd pied. Il savait cette région du golfe de Guinée déchirée entre le vaudou et le catholicisme, importé au XVIe siècle par les Portugais. Qu'on va le matin à l'église et le soir consulter le serpent Python. Qu'en levant la tête, on voit flotter, entre les clochers, les drapeaux blancs sur les maisons des hounon, les prêtres vaudou. Les fondateurs de l'association veulent bousculer cette cohabitation silencieuse. Dans un monde travaillé par l'affirmation identitaire, le vaudou réclame sa place.Le chemin vers les ancêtres prend parfois des détours. «N'oublions jamais qui nous sommes, le vaudou est une religion commeune autre», lance le directeur de cabinet du ministre de la Culture, dans son discours d'ouverture des cérémonies.Acofin affronte un nouvel adversaire : les pasteurs évangélistes formés aux États-Unis ou au Nigeria, qui parlent françaisavec l'accent anglais, et qui promettent des miraclescontre une cotisation substantielle. C'est le combat du roi d'Aného. «Il y a pas mal de problèmes avec la prolifération des religions chrétiennes», déplore-t-il. Pourtant, Dieu n'est pas arrivéavec les Blancs, dit le roi, lui aussi chrétien et initié vaudou. Sa conférence est l'un des clous du Festival des divinités noires. Il la donne en son palais, un ensemble de bâtiments modernes, au cŒur de cette cité décrépie qui fut la première capitale du Togo. Sujet : religions traditionnelles africaines et chrétienté. Lawson VIII (un ancêtre fit le voyage d'Angleterre au XVIII e siècle) prendson temps. Une heure de chants et de danses protocolaires précèdela communication du monarque traditionnel, dont la couronne rappelle celle de Saint-Louis. Le souverain a été instituteur et sait tenir un auditoire. Il brosse un large tableau historique. Son peuple – les Guins – est venu d'Égypte il y a des milliers d'années en passant par le Ghana. Pour l'ancienneté, il n'y a pas photo avec le christianisme. Surtout que le vaudou se veut monothéiste, affirmation qui n'étonnera pas les anthropologues spécialistes du golfe de Guinée.

«Nos ancêtres croyaient en un être suprême, créateur du cielet de la terre ; ils l'ont appelé Mawu ; c'est Dieu», poursuit le roi théologien. Mawu a un problème : il n'est pas identifiable. «Les ancêtres l'ont cherché, mais ils ne l'ont pas trouvé de face», précise-t-on. En compensation, ils ont décelé des intermédiaires aux attributs complexes et aux représentations variables suivant les régions : Hévioso, le tonnerre, qui rend la justice, Sakpaté, la terre, Dan Ayidohwédo, l'air, parfois symbolisé par un arc-en-ciel. «Ce ne sont pas des dieux. Est-ce que Hévioso est Dieu ?» , demandele roi, retrouvant ses réflexes de pédagogue. «Non !» , répond d'une voix l'assistance. Conclusion : «Ceux qui nous ont évangélisésne l'ont pas compris. Ils ont fait de nous des hommes qui adorentdes dieux». Deuxième conclusion : «Un chrétien peut aller dansun couvent vaudou.» D'ailleurs, c'est un peu la même chose, selonle roi, qui se lance dans une comparaison systématique des fêtes chrétiennes et des fêtes vaudou, qui coïncident mystérieusement.

Nestor ne renie pas cet Œcuménisme un peu décoiffant. «Nestor, c'est mon nom de baptême», confie cet homme au sourire jovial,le crâne recouvert en permanence d'un bonnet à franges blanches. Nestor est aussi Togbé Efoegan Sassou Nynevi, gouverneurde la forêt sacrée de Kété-Akoda, gouverneur du vaudou Nana (septième république spirituelle), médecin traditionnel et conseiller en sorciologie. Ses pouvoirs datent de sa naissance, comme l'indique sa biographie officielle, puisqu'il est «venu au monde avec deux placentas, après trois années de gestation». Dans sa sallede consultation aux murs bleu ciel, entourée de statuettes– symbolisant des gardes du corps –, il guérit par les plantes, soigne à distance si nécessaire, et fournit d'autres services tarifés en francs CFA, équivalent des centimes d'avant l'euro : pour vendreau marché, 228 100 francs ; pour arrêter de fumer, 317 000 francs.En tête de liste : se métamorphoser en animaux féroces, 4 618 777 francs et l'invisibilité, 3 613 105 francs. Un travail risqué à cause des sorciers négatifs, qui l'attendent au tournant. Tout cela n'empêche pas Togbé Sassou d'aller à l'église, «même s'il ne faut pas tout mélanger». Le gouverneur de la forêt sacrée est aussi membre d'Acofin. Que cherche l'association ? Le père Benu Penoukou, théologien et sociologue, auteur d'une thèse sur le vaudou des Guins,est interloqué de voir des catholiques à la tête d'Acofin : «Le fait religieux est le même, mais la comparaison ne tient pas. Cherchent-ils la renaissance de la religion traditionnelle ?» Les membres fondateursde l'association n'auront peut-être pas tous la même réponse.Pour Lulu Mensavi Mensah, président du conseil d'administrationde la Financial Bank, «l'ambition est d'arriver à trouver autre chose,qui fonde les valeurs africaines».

Pierre Prier

© Le Figaro

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