Diplomatie

Théâtre d'ombres à Abidjan

Qui a vraiment donné l'ordre de bombarder le campement de la force Licorne à Bouaké (centre de la Côte-d'Ivoire), le 6 novembre 2004. Le président Laurent Gbagbo personnellement ou un quarteron de chefs militaires qui voulait faire du zèle.  

Le quotidien français pose jeudi la question. Il a interrogé un instructeur français qui oeuvrait aux côtés des mercenaires slaves de Gbagbo. Et le journal évoque également le rôle de Robert Montoya, un ancien gendarme de l'Elysée sous Mitterrand installé au Togo, soupçonné d'avoir fourni à Gbagbo les Sukhoï et les mercenaires.Voici l'article publié par Libération le 25 janvier 2007

Pourquoi, après avoir bombardé le campement de la force Licorne à Bouaké (centre de la Côte-d'Ivoire), le 6 novembre 2004, deux Sukhoï de l'armée ivoirienne sont-ils allés se poser sous le nez des militaires français à Yamoussoukro, plus au sud ? Pourquoi ces derniers ont-ils reçu l'ordre de détruire les appareils sans appréhender les pilotes biélorusses et les copilotes ivoiriens des deux avions ? Pourquoi Paris les a-t-il laissés filer sciemment dans les jours qui ont suivi, via le Ghana et le Togo ( Libération du 3 juillet 2006) ?

Autant de zones d'ombre dans une affaire jugée par un militaire «plus grave pour l'Etat que Clearstream». En représailles à ce raid qui a fait dix morts ­ neuf soldats français et un civil américain ­, la quasi-totalité de la flotte militaire du président Gbagbo a été détruite par Licorne, tandis que 8 000 Français attaqués par les «patriotes» fuyaient le pays.

Après une période de flottement, la juge du tribunal aux armées de Paris (TAP), Florence Michon, qui a succédé il y a un an à Brigitte Raynaud, a relancé l'enquête ouverte en janvier 2005 suite à une plainte contre X déposée en France par les familles des victimes pour «assassinats, tentatives d'assassinat et destruction de biens».

Des militaires français qui ont côtoyé la vingtaine de mercenaires étrangers chargée de la flottille militaire de Gbagbo, de fabrication soviétique, ont été entendus.

La juge vient aussi de se rendre au Togo, où réside Robert Montoya, un ancien gendarme de l'Elysée sous Mitterrand, soupçonné d'avoir fourni à Gbagbo les Sukhoï et les mercenaires.

Autre pièce récemment versée au dossier : le témoignage d'un «instructeur» français qui oeuvrait aux côtés des mercenaires slaves de Gbagbo. Vétéran des conflits des années 90 au Liberia et en Sierra Leone et chargé de missions de reconnaissance aérienne pour Abidjan, Jean-Jacques Fuentès s'est également confié, début janvier, devant la caméra du journaliste indépendant Alain Chabod.

Selon Fuentès, Gbagbo, qu'il a rencontré au lendemain du raid, était «complètement sonné». Hors de cause, il aurait été «doublé» par un «quarteron de chefs» (militaires) qui, dans un excès de zèle, pensaient pouvoir porter «la couronne de la victoire» de Bouaké.

En février 2006, la juge Raynaud, qui avait demandé des mandats d'arrêt contre deux pilotes, Yuri Sushkin et Barys Smahin, s'était heurtée à l'avis défavorable du procureur du TAP, Jacques Baillet. Ce dernier assure que l'identité des pilotes n'est pas établie. Interrogé sur les noms cités par la juge, Fuentès affirme, lui, qu'ils correspondent «tout à fait» à ceux des pilotes impliqués dans le raid. «Arrêter les exécutants aurait permis de s avoir qui a ordonné le bombardement et pourquoi. La France ne l'a pas fait», note Me Jean Balan, l'avocat des familles des victimes.

Les deux copilotes ivoiriens qui, eux, sont visés par des mandats d'arrêt, auraient pu fournir de précieuses informations à cet égard. Mais Interpol, à qui les mandats ont été transmis, refuse de les diffuser. Contactés par Libération, ni le procureur du TAP ni Interpol n'ont souhaité s'exprimer sur ce refus. Dans ce théâtre d'ombres, les autorités ivoiriennes s'emploient à mettre la France face à ses contradictions.

De passage à Paris, début janvier, le procureur militaire d'Abidjan Ange Kessi a réclamé l'exhumation des corps des neuf soldats français, qui ont été mis en bière sans qu'aucune autopsie ne soit pratiquée. La précipitation a été telle, côté français, que l'identité de deux des victimes a même été confondue.

© Libération

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