Politique

En ce 15 août, l’’esprit sain’ de Yawovi Agboyibo

Yawovi Agboyibo lors de l'entretien

L’un des plus anciens parti de l’opposition togolaise fête cette année son 26e anniversaire. Après une période de crise interne, le Comité d’action pour le renouveau (CAR) a été repris en main par son fondateur Yawovi Agboyibo.

Ce dernier exige des réformes politiques, mais rejette le mode d’emploi préconisé par le gouvernement. Dans l’entretien qui suit, il exige un retour aux fondamentaux de l’Accord politique global, un texte adopté par les partis de la majorité et de l’opposition il y a plus de 10 ans.

Il se dit ouvert au dialogue et invite la classe politique à adopter un ‘esprit sain’, en dépassant les intérêts égoïstes pour parvenir à l’émergence d’un consensus indispensable à la construction d’un équilibre durable et profitable à tous.

Republicoftogo.com : Votre formation politique conteste la Commission mise en place par le gouvernement sur les réformes. Vous ne croyez pas à la sincérité des autorités?

Yawovi Agboyibo : En décidant par la création de cette commission de recourir aux populations de l’intérieur pour éclairer les intellectuels sur la façon de reformer l’organisation politique de l’Etat, le gouvernement renforce effectivement le doute sur sa sincérité à procéder aux réformes politiques prescrites par l’Accord politique global (APG, signé par les partis de la majorité et de l’opposition en 2006, ndlr).

Tout se passe comme si le pouvoir feint d’ignorer que la crise que le Togo a traversée durant des années a pour origine le système institutionnel de gouvernance du pays. Un système conçu de façon à laisser au premier dirigeant la latitude de placer à la tête de toutes les institutions nationales et locales, des personnes qui suivent ses instructions. 

Ce régime, hérité de l’époque où les organes du parti unique RPT avaient primauté sur les institutions de l’Etat, a été la source de multiples dérives que les populations ont vécues dans les domaines de gestion des droits humains, des libertés publiques et des richesses nationales. Ces dérives ont généré de profonds mécontentements et ont finalement plongé le pays dans les troubles socio-politiques dont on se souvient encore. 

Je crains que le pays ne renoue avec ces tristes pages si le gouvernement ne se décide à se conformer au cadre prévu par l’APG  pour opérer les reformes politiques dont le Togo a besoin pour s’ériger en un Etat de droit qui soit à l’abri de toute forme  d’arbitraire et ou aucun dirigeant ne puisse être au-dessus des lois et du peuple.

Republicoftogo.com :  Le CAR, comme d’autres formations, souhaite des réformes via l’APG. Cet accord qui date de 11 ans n’est-il pas dépassé ?

Yawovi Agboyibo : Soyons précis. Il ne s’agit pas d’un simple souhait, mais d’une légitime revendication de respect des engagements souscrits par le gouvernement.  

C’est également par erreur que d’aucuns tentent de faire croire, comme s’il était assorti d’un délai de mise en œuvre, que l’APG serait dépassé, frappé de caducité. 

Une telle prétention est d’autant plus inexacte que dans le décret du 3 janvier 2007 portant création du cadre juridique de négociation des réformes politiques en suspens, le gouvernement de transition avait prévu que toute formation politique qui a un élu à l’Assemblée nationale ou qui a recueilli 5% des suffrages nationaux aux élections législatives, soit habileté à y siéger. 

Quand bien même un ou plusieurs de ses signataires viendraient à disparaitre, l’APG ne subsisterait pas moins pour autant. C’est donc en vain que le gouvernement cherche à se dérober au devoir de le mettre en œuvre.

Republicoftogo.com :Comment aborder sérieusement la question des réformes et avancer vraiment ? Que proposez-vous ?

Yawovi Agboyibo : De par son libellé, la question posée induit que les parties qualifiées par l’APG pour négocier les réformes politiques soient toutes disposées à se mettre autour d’une table.  Cette disponibilité n’est pas à écarter au regard de la convergence de vues qu’on observe en la matière au sein de la classe politique.

 Mais encore faut-il qu’elle aille au-delà de l’accord de principe sur la nécessité du dialogue d’application des points de l’APG concernant les réformes institutionnelles et constitutionnelles. 

Il importe en effet d’avoir à l’esprit que l’APG a prescrit le consensus comme mode de prise de décisions de réalisation des réformes. On devrait pouvoir, le moment venu, y parvenir.

AGBO-2

Republicoftogo.com : De façon concrète, quelle méthode le CAR préconise-t-il pour parvenir à des réformes consensuelles ?

Yawovi Agboyibo : Le CAR, on le sait, s’est outillé d’une méthode de règlement des problèmes politiques et sociaux. La méthode n’a pas varié. C’est grâce à elle qu’au début des années 90 nous avions pu amener le défunt président Eyadema à rétablir le multipartisme, à adopter une loi d’amnistie pour permettre à nos compatriotes en exil de rentrer au bercail, de convoquer les forces vives du pays en une assise nationale au cours de laquelle le parlement et le gouvernement monolithiques RPT ont été dissous et remplacés par un Haut Conseil de la République et un gouvernement transitoire investis de la mission de reformer les règles de la gouvernance électorale, institutionnelle, économique et sociale du pays,  d’organiser les premières élections locales et législatives démocratiques et de clôturer le tout en 1992-1993 par un scrutin présidentiel à l’issue duquel le feu président Eyadema avait accepté de se retirer.

Le CAR a également mis à contribution sa méthode pour la conclusion de l’accord-cadre signé à l’issue du dialogue inter-togolais de 1999. Lorsqu’il m’a été demandé de présider le bureau du dialogue national de 2006, c’est en m’inspirant de cette méthode que nous avons pu aboutir à l’Accord Politique de Base (APB) de juillet 2006 dont le niveau de garanties électorales concédées à Lomé par le  Président Faure a été fortement revu à la baisse par le Président Blaise Compaoré dans  l’APG de 2006. 

S’agissant de l’impasse politique actuelle, le CAR suit avec une extrême vigilance les manœuvres par lesquelles le pouvoir retarde le déclenchement du processus prescrit par l’APG pour la réalisation des réformes consensuelles. Le parti suit avec la même vigilance les manifestations des partis frères de l’opposition. Il entend jouer, le moment venu sa partition.

 Il ne m’est guère possible comme vous le souhaitez, d’exposer dans le cadre de cet entretien, comment le parti entend jouer la partition.

Il faut pour parvenir à des résultats instaurer entre les protagonistes un état d’esprit que je suis tenté de qualifier d’’esprit sain’. Le terme est à prendre en son sens laïc élevé à un stade où par dépassement des intérêts égoïstes, les divergences s’estompent pour l’émergence du consensus indispensable à la construction d’un équilibre durable, profitable à tous.

Republicoftogo.com :  L’opposition semble incapable de s’entendre. Chaque formation ou chaque leader a son propre agenda. Que vous inspire cette situation ?

Yawovi Agboyibo : Les mésententes  et rivalités que vous évoquez au sujet des relations entre les partis politiques de l’opposition n’ont rien d’anormal, de surprenant. Elles relèvent de l’essence de l’action politique. Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter et moins encore de s’en affoler. 

L’important est de s’efforcer de comprendre ces rivalités, de déceler leur dessous de façon à être en mesure d’y apporter les solutions appropriées en vue de la réalisation des réformes politiques.

Republicoftogo.com : Selon vous, le Togo a-t-il fait des progrès sur le plan de la démocratie, de l’économie, de la modernisation ?

Yawovi Agboyibo : Le dialogue national sanctionné par l’APG de 2006, l’organisation par le gouvernement transitoire des élections législatives de 2007 dans des conditions qui ont permis au Togo de reprendre la coopération financière et économique avec ses partenaires extérieurs, ont eu un impact certain sur l’image que présentait le pays il y a quelques années sur le plan économique et social.   

 Il s’est malheureusement trouvé que le régime persiste à refuser de mettre à profit l’accalmie sociale du moment pour favoriser l’épanouissement des initiatives privées et consolider le changement amorcé en s’attaquant à la racine du mal togolais, c'est-à-dire au déficit démocratique caractérisé par le verrouillage des institutions nationales et locales par une minorité d’oligarques qui ne cessent de s’enrichir aux dépens de la masse des pauvres.

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