Politique

Le débat contradictoire est essentiel

Le Forum de haut niveau sur la démocratie et la consolidation de la paix, organisé par le PNUD et l’Union européenne, qui s’est achevé vendredi à Lomé, a été l’occasion de débattre de thèmes d’actualité avec l’agitation politique constatée au Togo depuis quelques semaines. On peut d’ailleurs regretter qu’une partie de l’opposition - celle qui descend dans la rue régulièrement – ait décliné l’invitation.

Les différents intervenants (diplomates, politiciens, fonctionnaires internationaux) ont, notamment, évoqué le principe de l’alternance. Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale du Sénégal, a rappelé très simplement que l’alternance n’était possible que par les urnes.

« Il n’y aura pas de solution à la  crise togolaise, s’il n’y a pas de dialogue. Je pense que chacun doit y mettre du sien ».

Sentiment partagé par Patrick Spirlet, le représentant de l’Union européenne au Togo qui constate que depuis 2010, « une crise de confiance profonde s’est installée entre le pouvoir et une grande partie de l’opposition ». Il est nécessaire, selon lui, de dédramatiser le débat afin de permettre la reprise d’un véritable dialogue inclusif.

Le ministre de l’Administration territoriale, Gilbert Bawara, s’est félicité de la qualité des échanges et des propositions formulées pendant le Forum dont, a-t-il assuré, le gouvernement « prendra bonne note et tirera tous les enseignements ».

Lire l'intervention de Patrick Spirlet

Je suis heureux de pouvoir participer aujourd'hui, au nom de l'Union européenne, au lancement de cette initiative du forum de haut niveau sur le thème des "enjeux démocratiques et de la consolidation de la paix".

Je voudrais en premier lieu remercier les membres du panel qui ont accepté de participer à cet événement malgré leur agenda extrêmement chargé. Cela montre  toute l'importance qu'ils accordent à cette initiative et au processus de démocratisation en cours au Togo. Mais mes remerciements vont bien sûr aussi aux leaders de partis politiques et d'opinion togolais qui, dépassant leurs clivages politiques, ont accepté participer à ce forum, une occasion unique d'échange d'opinions et de partage d'expériences.

Je ne voudrais pas anticiper les sujets qui seront développés dans les diverses interventions mais, à titre d'introduction, plutôt situer cette initiative dans son contexte.

A la suite des deux scrutins, législatif et présidentiel de 2007 et 2010, nous avons, au niveau de l'Union européenne, tiré un certain nombre de leçons basées, entre autres, sur les recommandations de nos missions d'observation électorale.  Il nous a paru donc important de mettre en œuvre des activités et des initiatives post électorales pour, à la fois, consolider les acquis mais surtout préparer les prochaines échéances. 

Ainsi avec l'appui du PNUD pour la mise en œuvre,  l'UE a décidé de financer:

- un programme d'éducation à la citoyenneté et à la culture démocratique; 

- la promotion de la participation des femmes dans la vie publique;

- la formation des forces de sécurité;

- les ateliers de  formation en administration électorale BRIDGE pour le renforcement des capacités de la CENI, des partis politiques, de la société civile, des médias et des institutions impliquées dans les processus électoraux;

Le présent forum suit cette approche et constitue sans doute le point d'orgue du dernier volet, celui de la formation et sensibilisation des acteurs sur les processus électoraux, qui a vu la participation de toutes les principales formations politiques du Togo.

Mais, au delà d'un rappel des initiatives en cours dans le cadre du partenariat entre le Togo et l'UE, il me semble important de faire le point sur l'évolution politique de ces dernières années. 

D'une part, depuis le scrutin présidentiel de 2010, le contexte politique est caractérisé par une crise de confiance profonde entre le pouvoir et une grande partie de l'opposition qui va au-delà de la bipolarisation "historique". Cette période récente a été caractérisée également par un certain nombre d'événements qui ont exacerbé cette situation:

- La scission de l'UFC suivie de la création de l'ANC;

- L'exclusion des neufs députés de l'ANC de l'Assemblée nationale togolaise;

- Le procès pour atteinte  à la sécurité de l'Etat et les allégations de tortures;

- Les deux versions différentes du rapport de la Commission Nationale des Droits de l'Homme portant sur ces allégations;

D'autre part, cette période a été marquée par les travaux de préparation à la réconciliation nationale effectués par la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) qui ont abouti à la publication de son premier rapport faisant la lumière sur les abus et exactions du passé. Il présente également des recommandations fondamentales concernant les mesures de réparation, de non-répétition, de prévention des conflits et de consolidation de l'Etat de droit. Ce rapport a d'ailleurs fait l'objet d'un engagement clair et solennel de la part du Chef de l'Etat.

Depuis la relance du dialogue politique en septembre 2011, plusieurs initiatives de discussion ont eu lieu mais parfois avortées, parfois non inclusives, souvent boycottées, conduisant à des conclusions souvent critiquées ou remises en question. Comme le précisait la lettre d'invitation du Premier Ministre aux différentes parties pour le lancement du cadre permanent de dialogue et de concertation "CPDC rénové", le 6 septembre 2011, le dialogue visait à, je cite: "mettre en œuvre les recommandations pertinentes de la MOE de l'UE et à reprendre les débats sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles dans un esprit consensuel".

Au cœur des préoccupations et des discussions, sont donc les reformes prévues par l'APG, d'une part, et d'autre part, la préparation des élections législatives et locales sur la base des recommandations des MOE. Le débat portant souvent sur l'ordre des thèmes de discussion et l'articulation de ces deux enjeux aura finalement limité la participation à ce dialogue essentiel.

Aujourd'hui, quelles que soient les initiatives, la tension s'est accrue sur base de polémiques, de mesures d'apaisement ou d'exacerbation, de manifestations ou de réactions parfois excessives.

Il est donc intéressant d'avoir un regard extérieur pour aider à dédramatiser le débat  et permettre, à terme, la reprise d'un véritable dialogue inclusif,  seule voie possible vers l'approfondissement démocratique à travers un processus électoral crédible. J'espère aussi qu'à cette occasion les différents "acteurs" togolais pourront échanger et clarifier leurs analyses, entendre les expériences d'autres pays de la sous-région, loin des polémiques et sans, évidemment, que ce débat se substitue au dialogue inter-togolais. 

Chers participants et invités,

L'Union européenne a, sur base du constat évoqué ci-dessus et de son partenariat historique avec le Togo, toujours privilégié une stratégie d'appui selon trois axes principaux:

• L'appui à la réconciliation nationale;

• L'appui au processus de démocratisation;

• L'appui à la gouvernance démocratique, institutionnelle et économique.

Au centre de ces orientations se trouve le fonctionnement et l'indépendance de la justice, carrefour de l'état de droit, des libertés, de droits fondamentaux et de la lutte contre la corruption, et donc le soubassement essentiel de la démocratie à travers la séparation des pouvoirs.

La démocratie est sans doute le seul système permettant un véritable développement durable au bénéfice des citoyens. Ce système doit pour cela se fonder, en même temps, sur des élections crédibles au suffrage universel et sur la garantie des libertés fondamentales.

Comme le précise le philosophe français Paul Ricœur dans sa définition d'une société démocratique, je cite: "est démocratique une société qui se reconnait divisée c.-à-d. traversée par des contradictions d'intérêt et qui se fixe comme modalité, d'associer à parts égales, chaque citoyen dans l'expression de ces contradictions, l'analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions en vue d'un arbitrage"  - fin de citation. Le débat contradictoire est donc essentiel.

Comment gérer ces contradictions dans l'intérêt général ? Quels mécanismes pour en assurer le correct arbitrage ? Quel rôle pour les leaders politiques alors même que les élites politiques sont de plus en plus déconnectées de leur base ?

Parlant de contradiction, la question peut aussi être posée d'une Afrique de l'Ouest qui n'a sans doute jamais été aussi démocratique,  et en même temps n'ayant jamais connu de crises aussi graves pour sa stabilité.

Enfin, au delà de ces questionnements, l'expérience togolaise devrait vous porter à débattre de questions telles que:

Comment parvenir à l'alternance ?  Est-ce le préalable ou l'éventuelle conséquence du jeu démocratique ? Comment assurer la confiance dans les processus électoraux ? Quelles sont les clés pour en assurer la crédibilité et la transparence ? 

Quel rôle et responsabilité pour l'opposition souvent fragmentée et avec peu de moyens?

Voila de mon point de vue quelques interrogations qui peuvent jalonner les débats.

Je suis convaincu que les illustres membres  du panel, ici présents, sur base de leurs importantes expériences respectives, pourront apporter des éléments de réponses et ainsi contribuer à l'apaisement et au renforcement de la démocratie au Togo.

Je souhaite plein succès à vos travaux pour aboutir à un apaisement du jeu démocratique au Togo.

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