Région & Afrique

Quand les agriculteurs marocains défient l'Union européenne

Le Parlement européen se réunit ce jeudi pour discuter de l’accord agricole entre l’Union européenne et le Maroc. Exaspérés par le retard pris dans la signature du texte, les producteurs marocains montent au créneau : ils soupçonnent les lobbies agricoles européens de faire pression sur la commission du commerce international chargée d’examiner le texte.

Réunis dans un grand hôtel de Casablanca ce lundi en fin de journée, les représentants des producteurs agricoles marocains sont en colère, et ils le font savoir. Objet de cette conférence à laquelle la presse au grand complet a été conviée ? Les multiples manœuvres de la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, qui a repoussé à plusieurs reprises le vote sur la ratification de l’accord de libre échange agricole (ALE), après que ce dernier a été approuvé par la commission. Fait rarissime, toutes les associations et fédérations professionnelles agricoles marocaines ont signé une déclaration commune, appelant l’Union Européenne à procéder à la « ratification urgente » de l’accord de libre échange. 

Le rôle de José Bové en question

Pour Rabat, les Européens auraient tout simplement voulu « prendre en otage » le Maroc, en confiant à José Bové le rôle stratégique de rapporteur de la commission INTA, et ce en dépit de ses positions radicales. Bové, qui jouit d’une exposition médiatique importante, aurait vraisemblablement décidé de faire de cet accord un levier de négociation pour d’autres arbitrages obscurs au sein du Parlement européen.

Les observateurs de cette mécanique complexe qu’est Bruxelles estiment que les retards accumulés - et probablement orchestrés - sur cet accord sont en contradiction complète avec le discours de coopération que formulent les instances européennes depuis le déclenchement du « Printemps Arabe ». En effet, depuis plusieurs mois - et malgré un  petit « retard à l’allumage » - on a pu entendre l’Europe rabâcher sa  ferme volonté d’« accompagner les réformes dans le monde arabe », affirmant même à plusieurs reprises sa détermination à accorder un « soutien massif » à la rive sud de la Méditerranée.

Or, l’on ne peut que constater un décalage entre le discours d’intention et les actes concrets, car dans le cas de l’accord de libre échange agricole, l’effort de libéralisation marocain est supérieur à celui de l’UE, le Royaume Chérifien accordant 70% de la valeur des exportations sur dix ans là ou l’Union en accorde près de 55%. De plus, le projet d’accord, que la commission européenne a jugé « totalement en ligne avec la nouvelle politique de voisinage (…), équilibré et mutuellement bénéfique », prévoit des clauses de sauvegarde qui protègent les producteurs européens grâce à un dispositif qui permet à l'UE de restreindre les importations marocaines si celles-ci perturbaient de manière sérieuse les marchés.

L'Europe se méfie, le Maroc se défend

Les producteurs marocains comprennent donc mal comment un accord qui prévoit tant de filets de sécurité pour l’Europe se retrouve au cœur d’un débat aussi intense, et ils commencent à brandir la menace de faire pression sur leur gouvernement afin qu’il ne coopère plus sur d’autres volets chers à l’UE, au premier rang desquels se situe la problématique de l’immigration, où le Maroc, avec ses deux façades maritimes, constitue un partenaire stratégique incontournable.

Pour les producteurs marocains, se pose la question de la crédibilité du Parlement européen, car les vieilles querelles et les accusations de collusion des eurodéputés avec les lobbies agricoles de l’UE ont tôt fait de refaire surface. Côté marocain, il est hors de question de céder du terrain sur un dossier qui est censé être bouclé depuis plusieurs mois et qui a nécessité des concessions importantes négociées avec des producteurs agricoles très revendicatifs. Selon plusieurs experts, à la suite d’une audition des syndicats européens prévue à la fin du mois par la commission INTA, il est fort probable que l’on assiste à une accélération du calendrier afin de clore cette question avant les élections législatives marocaines qui doivent se dérouler le 25 Novembre. En effet, pour Bruxelles, reprendre le dossier avec un nouveau gouvernement marocain risquerait de remettre en question les acquis déjà négociés et d’entrer dans une spirale dont personne ne connaît l’issue. Le danger ? Si un climat de défiance venait à s’installer entre les deux rives de la Méditerranée sur la question agricole, c’est l’ensemble de la politique de voisinage qui risquerait d’être compromise. 

Abdelmalek Alaoui

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