Politique

« Les intérêts égoïstes d’une minorité d’individus »

Le président de l’UFC, Gilchrist Olympio, s’explique longuement jeudi dans les colonnes de Forum de la Semaine sur la crise qui secoue son parti. C’est la première fois qu’il parle aussi franchement. Et il se veut clair et précis : « (…) il n’y a au Togo qu’un seul parti politique dénommé Union des Forces de Changement (UFC) dont je suis le Président, qui a signé les accords politiques avec le RPT et qui est représenté au gouvernement ». Une manière de « recadrer » le dissident Jean-Pierre Fabre.
Et le fondateur de l’UFC de dénoncer les « intérêts égoïstes d’une minorité d’individus constitués en club d’amis ». MM. Fabre, Lawson et Dupuy apprécieront.
Monsieur le président, vous avez décidé le 15 juin dernier, suite à la grave crise que traverse l’UFC de vous adresser aux militantes et militants de votre parti à travers une lettre circulaire dont l’objectif est, dit-on, de recadrer le fonctionnement des organes. Mais cette lettre est déjà sujette à polémique dans la presse qui parle de dissolution de l’ancien bureau national. Pouvez-vous éclairer l’opinion sur la portée de cette lettre ?
Gilchrist Olympio : Merci d’abord pour l’opportunité que vous m’offrez d’éclairer les militantes et militants de l’UFC et au-delà, l’ensemble de nos compatriotes sur la crise qui secoue actuellement notre parti et face à laquelle il nous faut réagir de façon énergique avant qu’il ne soit trop tard.
En fait, il ne s’agit pas d’une dissolution du « Bureau National » comme d’aucuns veulent le faire croire. Mais plutôt d’un recadrage qui vise à faire correspondre la composition de ce « Bureau » aux prescriptions de nos textes en vigueur.
En effet le « Bureau » qui présidait jusque-là aux destinés du parti et dont certains parlent si fièrement, n’en n’était pas un. C’était plutôt un club d’amis copté de 78 membres sans légitimité car ne reposant sur aucune base légale, d’autant plus que les statuts en vigueur n’en prévoient que 16. Il est évident que toute décision prise par ce groupe d’individus est illégale, donc nulle et de nul effet.
Il est bien vrai que le dernier congrès tenu les 18 et 19 juillet 2008 avait recommandé au « Bureau National » de parachever l’adoption des nouveaux statuts et règlements intérieurs et d’effectuer les formalités administratives subséquentes conformément aux dispositions de la charte des partis politiques notamment en son article 17 qui précisent que : « toute modification apportée aux statuts d’un parti politique ou tout changement survenu dans sa direction doit dans les trente (30) jours suivants faire l’objet d’une déclaration au Ministère de l’Intérieur, dans les formes et conditions prévues à l’article 14 ».
Nous venons de faire le constat que, deux ans après, les recommandations du Congrès à cet effet n’ont pas été respectées.
Par conséquent, vous convenez avec moi que les statuts qui régissent actuellement le fonctionnement de l’UFC sont ceux datant de sa création et qui sont les seuls qui existent au Ministère de l’Administration du Territoire. Il convient alors de nous y conformer comme nous le recommande la charte des partis politiques.
Vous avez, le 27 mai dernier, pris la décision de collaborer avec le RPT que vous avez des années durant combattu. Par cette décision, les milliers de Togolais épris de liberté et de justice ne se reconnaissent pas en vous et s’interrogent sans comprendre. Quelles sont véritablement les raisons qui vous ont amené à prendre un tel engagement que vous qualifiez d’ « historique ». Monsieur le président, dites-nous ce qui a véritablement changé dans la manière de faire du régime RPT et qui vous a séduit ?
Gilchrist Olympio : Vous partez de prémisses qui sont complètement fausses. Notre entrée dans ce gouvernement s’est faite sur la base d’un accord dûment signé. Et il ne s’agit pas d’une collaboration comme vous le dites mais d’un partage de pouvoir. Les Togolais qui ne se reconnaissent pas en cela, ne comprennent pas encore la nature de la lutte. Nous usons de tous les moyens légaux pour atteindre notre objectif.
Nous sommes passés par plusieurs phases de notre lutte, parfois dans le sang. Ce qui nous a permis avec l’ensemble de l’opposition de conquérir certains espaces de liberté. Mais depuis quelques années, face à la misère indescriptible dans laquelle baignent nos concitoyens et l’état de déliquescence avancée dans lequel se trouve le pays, l’UFC a décidé de ne plus laisser la gestion des affaires du pays entre les seules mains du RPT.
Vous savez, dans l’Europe d’après guerres, les partis communistes avaient participé à plusieurs gouvernements libéraux de reconstruction mais ils n’ont pas pour autant cessé d’être communistes. Mieux encore, les américains ont participé avec les communistes et la mafia à la reconstruction du port de Marseille. Cela n’a pas aussi empêché les uns et les autres de garder leurs idéologies.
C’est ainsi que par deux fois c'est-à-dire en 2005 et en 2006 nous avons tenté en vain de rentrer au gouvernement faute d’un accord politique sur un partage de pouvoir.

On vous prête des intentions pour l’acte que vous avez posé le 27 mai. Ne pensez-vous pas que votre acte serait compris et très applaudi s’il était intervenu quelques années plus tôt. Il aurait d’ailleurs le mérite d’avoir épargné des vies humaines et contribué à la refondation de la nation togolaise. Mais, vous avez plutôt contribué par votre refus obstiné de collaborer au pourrissement de la situation pour prendre aujourd’hui une décision qui ne fait pas l’unanimité au sein de votre famille politique puisqu’une grande majorité de vos militants contestent cette décision.
Gilchrist Olympio : Cette question suggère que vous comprenez mieux notre stratégie que nous mêmes. Ceux qui ont versé leur sang sont les héros de notre Nation. Chaque chose a son temps et chaque chose a sa place.
La direction de notre parti est convaincue que l’acceptation de prendre part au gouvernement est arrivée au bon moment si nous tenons compte des facteurs internes et externes.
Quant à l’applaudissement de la population, tout ce que je peux dire, c’est que nous venons de commencer un exercice pédagogique qui, nous en sommes convaincus, va produire des fruits dans un avenir très proche.
Vos détracteurs vous accusent d’avoir pris la décision unilatérale de faire participer l’UFC au gouvernement. Est-ce vrai cela ? Si non, expliquez-nous comment ça s’est passé avant que vous ne preniez l’engagement de participer au gouvernement ?
Gilchrist Olympio : C’est une fausse accusation. Ce n’est pas dans mes habitudes de porter des réponses à chaque groupuscule politique décidant de jouer aux détracteurs.
Nous avions eu des contacts même au temps de Gnassingbé 1er, officiellement avec le RPT, officieusement et des fois même clandestinement à Rome (San Egidio), à Paris, à Ouagadougou (à plusieurs reprises), à Accra sans oublier Lomé. Et ça, tous les cadres du parti en on prit part.
Parler de décision unilatérale c’est travestir la vérité. Même quand l’offre de négociation a été faite par le RPT après l’élection présidentielle du 04 mars dernier, j’ai pris soin d’en discuter à mon domicile avec certaines personnalités de référence du parti dont Jean-Pierre Fabre, Patrick Lawson, Me Georges Lawson, comme cela a été toujours le cas chaque fois qu’une décision d’une telle importance devait engager l’UFC. J’ai pris acte de leur avis que j’ai intégré dans l’ensemble des positions.
Même sur la question, avec une bonne partie des membres du « Bureau National », j’ai consulté les Fédérations qui sont le socle de notre parti. Elles m’ont encouragé à poursuivre les négociations avec le RPT.
Au fond, personne au sein du « Bureau National » ne s’est opposé aux négociations et à une éventuelle entrée au gouvernement. Seulement, certains ont cru qu’ils étaient plus qualifiés pour conduire ces négociations. Mais je voudrais rappeler que le seul fait d’avoir porté les couleurs du parti à une élection présidentielle ne confère pas le droit de supplanter le Président. Et l’UFC n’est pas le seul parti où une personne autre que son Président a représenté le parti à l’élection présidentielle du 04 mars 2010. Nous avons vu comment les autres formations politiques ont procédé.
Ce n’est pas aussi la première fois que le président de l’UFC ne participe pas à l’élection présidentielle, mais les négociations qui s’en sont suivies ont toujours été conduites par lui conformément aux statuts en vigueur. Vous pouvez vous rappeler de 2003 et de 2005 où Monsieur Bob Akitani, alors 1er Vice-président de notre parti a été candidat. Mais nous n’avions pas connu tout ce désordre qu’il y a aujourd’hui.
Ce qui revient à dire que l’argument d’une démarche solitaire de ma part que brandissent certains membres du Bureau National pour justifier tout le mal qu’ils font au parti actuellement n’est qu’un alibi qui voile un complot visant à détruire politiquement ma personne dans l’unique but de prendre contrôle du parti.
Au jour d’aujourd’hui, il y a comme une confusion au sein de l’opinion. Monsieur le président, quelle UFC participe au gouvernement, UFC version Gilchrist Olympio puisqu’il y a une autre UFC incarnée par Fabre et Cie qui continue de battre le pavé chaque samedi au sein du FRAC ?
Gilchrist Olympio : Il n’y a pas de confusion possible ; il n’y a au Togo qu’un seul parti politique dénommé Union des Forces de Changement (UFC) dont je suis le Président, qui a signé les accords politiques avec le RPT et qui est représenté au gouvernement.
Nous avons tous la capacité de rassembler quelques dizaines de milliers de personnes à la plage ou dans tout autre endroit du pays pour faire écouter un message plus ou moins rationnel ou intelligent. Ceci n’est pas notre objectif.
Nous avons eu dans le temps à plusieurs reprises à drainer des centaines et des centaines de milliers de personnes sur toute l’étendue du territoire togolais et nous avons tiré la conclusion qu’en plus de cela il faut mettre en place une politique cohérente de changement et de redressement. C’est ce que les populations semblent finalement comprendre et qui explique d’ailleurs la diminution croissante des marcheurs de samedi et des porteurs de bougies de mercredi.
Ministres UFC assis à la même table avec ceux du RPT, une première dans l’histoire du Togo. On ne peut que souhaiter ça pour que le Togo redémarre. Mais des inquiétudes subsistent quant aux chances de succès de cette « nouvelle aventure ». Monsieur le président, croyiez-vous à la bonne foi du régime RPT ? Si oui quelles marges de manœuvres disposent vos ministres pour faire « bouger » les choses ?
Gilchrist Olympio : Si je devrais recommencer aujourd’hui, je prendrai encore le même chemin c'est-à-dire le partage de pouvoir.
Quant à la bonne foi du RPT et même de l’UFC, je peux dire tout simplement, citant un proverbe du pays que « c’est seulement en allant au fond de la rivière que l’on peut dire si le crocodile est malade ou en bonne santé ».
Je voudrais néanmoins souligner que c’est la première fois dans notre pays que les deux grands partis totalisant plus de 90% de l’électorat ont décidé de signer un accord permettant d’avancer. Attendons de voir le résultat. D’ailleurs, la porte par laquelle nous avons contracté cet accord reste grandement ouverte.
Monsieur le président, dites-nous sincèrement ce que vous avez ressenti à l’annonce de votre « expulsion » du parti par un « certain » secrétaire général ?
Gilchrist Olympio : Est-ce que ça vaut même la peine de répondre à cette question ? Mais ce que je peux vous dire c’est que la seule chose que les dictateurs n’ont pas pu enlever à leurs peuples, c’est le droit de rêver.
Les récents événements prouvent à suffisance que votre parti l’UFC est au bord de l’implosion. Comment entendez-vous remettre de l’ordre dans la famille et ramener la confiance au sein des troupes. J’imagine que la tâche ne vous sera pas facile.
Gilchrist Olympio : J’ai été longtemps retenu à l’extérieur pour des raisons que vous connaissez tous. Le parti était donc géré par certains collaborateurs en qui nous avions mis toute notre confiance. Le constat est là aujourd’hui et vous venez de le souligner. Mais le peuple qui a mis tout son espoir en l’UFC de connaître un jour l’alternance politique dans notre pays ne nous pardonnera pas si nous laissons notre parti sombrer définitivement au nom des intérêts égoïstes d’une minorité d’individus constitués en club d’amis.
Nous allons donc donner la parole aux militants de base des fédérations pour qu’ils s’expriment sur la question, à travers un congrès extraordinaire que nous allons convoquer dans les prochaines semaines.
En attendant le prochain congrès pour se pencher sur ces questions, quel message avez-vous à l’endroit du peuple togolais en général et de vos militants en particulier ?
Gilchrist Olympio : Je n’ai pas la prétention de me substituer ni à Mahomet ni à Jésus mais mon combat a toujours été de redonner au peuple togolais toute sa dignité et tout le bonheur qu’il mérite. Je saisis cette opportunité pour inviter les populations togolaises des villes, des villages et des hameaux à s’engager dans cette nouvelle donne politique. Leurs sacrifices dans la lutte engagée depuis plus de 40 ans pour la conquête des libertés fondamentales et des droits humains ont été déterminants.
La nouvelle phase de combat politique qui vient de s’ouvrir pour l’instauration d’une véritable démocratie devant aboutir à l’alternance politique tant souhaitée, nécessite également leur soutien et leur adhésion effectifs.
A nos militants je voudrais sincèrement exprimer notre regret par rapport à la crise interne qui secoue actuellement le parti. Mais je tiens à les rassurer que cette situation va bientôt se clarifier. Dans les prochains jours des informations seront portées à leur connaissance pour leur permettre de faire la part des choses sur la campagne d’intoxication, de dénigrement et de désinformation savamment orchestrée depuis quelques mois contre ma personne et le parti.
En conséquence, j’exhorte le Bureau National, les Fédérations de l’UFC et le peuple togolais dans son ensemble à demeurer fermes et mobilisés face aux manœuvres visant à nous détourner de notre objectif, à savoir le bien-être de la population.

© Forum de la Semaine N°735 du 8 Juillet 2010

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