Politique

Le temps du pardon

Une cérémonie s'est déroulée ce matin à Lomé en présence de Faure Gnassingbé et de Charles Konan Banny, le président de la commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation en Côte d'Ivoire, à l’occasion de la remise du rapport de la Commission «Vérité justice et réconciliation» du Togo (CVJR).

La CVJR, présidée par Mgr Nicodème Barrigah, était chargée de faire la lumière sur les violences politiques ayant marqué la vie politique au Togo de 1958 à 2005 ; elle a été créée à l’initiative de Faure Gnassingbé.

Pendant près de deux ans, elle a recueilli des milliers de témoignages et de dépositions d’officiels et de particuliers, victimes ou témoins. 

Un énorme travail qui doit permettre d’aboutir à la réconciliation et à la cicatrisation des plaies du passé.

Voici l’intervention du chef de l’Etat

 Il m’est agréable de m’adresser à vous à l’occasion de la cérémonie officielle de remise du Rapport de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR).

Ce moment solennel est empreint d’émotion tant il était attendu avec impatience et espérance par toutes les Togolaises et les Togolais.

Je voudrais, dès l’entame de mon propos, remercier chaleureusement Monseigneur Nicodème Barrigah-Benissan, Président de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation  pour son abnégation, sa détermination et sa patience qui ont eu raison des multiples obstacles qui s’étaient dressés sur le chemin de l’accomplissement de la mission qui lui était confiée.

Sans doute, ses qualités d’homme religieux et de fin diplomate qui le prédisposaient, d’ailleurs, à cette difficile tâche l’y ont beaucoup aidé.

J’associe, bien évidemment, à cet hommage mérité, Mesdames et Messieurs les Commissaires dont la rigueur, la compétence et la sagesse ont contribué largement à la production d’un Rapport d’excellente qualité dans des délais finalement raisonnables. 

Je n’oublie pas vos collaborateurs nationaux et locaux disséminés sur l’ensemble du territoire national qui n’ont ménagé aucun effort pour la réussite des travaux de la Commission.

Je voudrais, à toutes et à tous vous manifester la reconnaissance de la Nation et de l’Etat Togolais.

Mes remerciements s’adressent également à ces nombreuses victimes venues témoigner librement et sans peur devant la Commission ; à ses témoins qui ont apporté leur éclairage ; aux média, aux organisations de défense des droits de l’homme, aux associations de femmes, de jeunes, de religieux, aux syndicats et aux partis politiques qui ont livré leurs témoignages ou déposé des contributions écrites ou des documents.

Je remercie également, les populations togolaises dont je voudrais saluer la mobilisation et l’adhésion à ce processus de justice transitionnelle depuis le lancement en Avril 2008 des Consultations Nationales en collaboration avec le Bureau du Haut Commissariat des Droits de l’Homme du Togo.

Je remercie enfin tous les partenaires et les bailleurs de fonds qui ont apporté leur généreuse contribution à votre Commission pour la réussite de sa noble mission.

Je veux citer : le Haut Commissariat des Droits de l’Homme, le Programme des Nations Unies pour le Développement, l’Union Européenne, la Francophonie, la France et l’Allemagne.

Monsieur  le Président, Mesdames et Messieurs les Commissaires, 

C’est une immense tâche tant le champ d’investigation est vaste puisqu’il couvre 47 années de l’histoire politique tumultueuse de notre pays.

Cette mission était loin d’être aisée puisqu’elle devait s’accomplir dans la confrontation avec un double défit.

Le premier consistait à inventer, tout en s’inspirant des expériences vécues ailleurs, un modèle togolais de justice transitionnelle fondé sur ses valeurs culturelles et sociales.

L’autre défi commandait de conduire, avec certaine originalité, vos travaux tout en ne vous écartant pas des quatre piliers fondamentaux caractérisant les mécanismes de justice transitionnelle : le droit des victimes à la vérité, à la justice, à la réparation et à la garantie de non-répétition des horreurs du passé.

Votre rapport, j’en suis sûr, a été guidé par ces objectifs d’innovation, d’objectivité et d’impartialité.

Le besoin de vérité répond à une profonde nécessité puisqu’il correspond à un droit individuel et à un droit collectif.

Celui qui a été victime d’une violence, a le droit de savoir les causes et les motivations de cette violence.

La société a elle aussi besoin de savoir les mécanismes des violences qui ont  provoqué un choc traumatique parmi ses membres et engendré la haine, l’injustice et l’intolérance.

Cet accès à la vérité historique et sociologique de la violence produite dans le passé participe à la construction de la mémoire collective empreinte de gloire et d’horreurs.

C’est avec courage et lucidité qu’il nous faudra lire, avant de les tourner, toutes les pages de cette mémoire controversée pour éviter le retour des vieux démons.

C’est un devoir de mémoire qui incombe à l’Etat mais aussi à chacune et chacun d’entre nous pour mieux apprécier les mérites de la liberté et les bienfaits de la coexistence pacifique.

L’avenir est, en effet, toujours meilleur si nous avons une bonne connaissance du legs de notre passé. La mémoire de nos abus des droits d’autrui et de nos excès nous aide à mieux respecter les droits des autres et à nous abstenir de perpétrer les mêmes violences du passé à leur égard.

Cette mémoire est donc un remède à l’oubli et à l’amnésie. Il nous faut l’entretenir pour que nous nous en souvenions toujours pendant les crises politiques et sociales propices au déchainement de la violence.

La quête de justice est légitime. C’est un droit  fondamental. C’est le second pilier de la lutte contre l’impunité.

Quiconque dont les droits  sont violés est fondé à saisir la justice et à faire valoir ses arguments pour obtenir gain de cause.

Il appartient à la justice, au regard des éléments de preuve, des règles de procédures et du respect des droits de la défense de rendre une décision conforme au droit et à la loi.

Je veillerai à ce que ces principes caractérisant le fonctionnement normal d’un Etat de droit soient respectés.

Car il est crucial que les victimes aussi bien que les auteurs présumés de violences bénéficient tous d’un procès juste et équitable qui satisfasse les garanties et les normes internationales.

L’exigence de réparation des préjudices  subis par les victimes découle de la nécessité de la restauration de leur dignité et de la connaissance de leur statut.

Les formes de cette réparation qui peuvent être individuelles ou collectives, matérielles ou symboliques doivent satisfaire leur aspiration à une juste et équitable indemnisation ou compensation.

Je suis convaincu que vous avez arrêté une panoplie de recommandations couvrant les différentes situations vécues par les victimes ou leurs ayants-droits et dressé un tableau de diverses mesures adaptées de réparation, de réhabilitation, de réinsertion ou de restitution.

Nous les examinerons avec soin car ce troisième pilier qui consacre le droit à la réparation des victimes est essentiel pour ces dernières.

Si cette réparation intervient dans des conditions satisfaisantes elle peut contribuer à l’apaisement des cœurs des victimes et à leur libération de tout esprit de vengeance.

Mais, j’ai la ferme conviction que le processus  enclenché n’a de réelle chance d’atteindre l’objectif d’apaisement,  de réconciliation et de paix que s’il s’accompagne de réformes institutionnelles et sécuritaires renforçant les garanties de non-répétition des violences, des atteintes aux  droits  de l’homme du passé, à l’intégrité physique et à la dignité des personnes.

Ces réformes nécessaires visent à satisfaire le quatrième pilier évoqué plus haut du mécanisme de justice transitionnelle. 

Dans cette perspective, la réforme de la justice en cours se poursuivra plus activement pour consolider l’indépendance de l’institution judiciaire et de la magistrature afin de rendre le service public de la justice plus performant et plus efficace.

A cet effet, elle devra être dotée de moyens accrus et adéquats tant sur le plan financier, matériel et logistique pour qu’elle puisse s’acquitter, dans des délais raisonnables et dans l’impartialité et l’équité  de ses multiples et complexes missions de résolution des litiges entre justiciables, de protection des droits et libertés des citoyens et de préservation de la sécurité et des biens des personnes.

L’intégration dans les différentes branches du droit des conventions internationales et régionales ratifiées par l’Etat Togolais va s’accélérer pour mener à son terme le processus d’harmonisation du droit national et du droit international.

L’accès à la justice par les usagers sera amélioré par la proximité des tribunaux, par la qualité des services de l’administration de la justice, par la formation continue de l’ensemble du personnel judiciaire (magistrats, greffiers, huissiers…) et par une plus grande vulgarisation des normes du droit au profit des justiciables.

Les Ministères de la justice et des droits de l’homme s’attèlent déjà à la pleine réalisation de ces objectifs.

Cet accès à la justice et au droit sera également renforcé par l’augmentation sensible du Fonds d’Aide juridictionnelle aux justiciables démunis, créé depuis 2009, pour assurer à tous un traitement équitable devant les Cours et Tribunaux.

La réforme prochaine des institutions sécuritaires notamment de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR) vise à renforcer l’Etat de droit et à mieux garantir le libre exercice des libertés fondamentales.

Dorénavant, aucune personne ne sera détenue dans ses locaux pour quelque motif que ce soit. Cette mission incombera désormais à l’institution  judiciaire chargée de l’application juste et équitable de la loi.

Les forces de sécurité, policiers et gendarmes bénéficieront aussi d’une formation continue pour renforcer leur capacité d’intervention et d’action dans le cadre de la légalité et du respect des droits des individus.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Tout au long de ces années, j’ai pu mesurer l’immense aspiration de nos concitoyens à plus de liberté, de justice et de paix.

Cette légitime aspiration m’a conduit à assigner à mon action politique un objectif majeur : la Réconciliation sincère des filles et des filles du Togo.

Elle m’a fait comprendre également que la traduction concrète de cette action de réconciliation passe par la construction d’une société de liberté reconnaissant à chacun de ses membres sa responsabilité et sa dignité.

La Réconciliation est un objectif et une espérance. Elle est à portée de main. Mais elle exige de nous un effort individuel et collectif constant pour nous arracher à nos anciennes habitudes, à nos réflexes identitaires et ethniques et à nos mentalités régionalistes qui nous ont toujours divisés.

La Réconciliation exige également de nous une pratique vertueuse de la civilité débarrassée de tout arrière pensée de vengeance ou de revanche.

Elle doit se manifester, à tout  moment, par des actes concrets de tolérance, de respect mutuel et de  volonté pacifique de vivre ensemble dans la concorde et la paix.

C’est la pratique commune de ces valeurs fondamentales qui nous aidera à réussir la transformation politique, sociale et culturelle de notre pays.

C’est elle qui favorisera l’enracinement de la culture de la paix et du dialogue dans nos cœurs, nos esprits et notre raison.

C’est elle qui, de surcroît, nous éloignera de toutes les formes d’expression dévastatrices de la violence.

Comme vous le constatez, notre choix de réconciliation n’est point aisé. Le chemin est ardu et difficile. Nous en avons une claire conscience. 

Mais il demeure, à notre avis, la seule voie pour préserver l’unité nationale et consolider la cohésion sociale de notre pays.

Je voudrais, pour conclure, réitérer l’engagement solennel que j’avais pris au nom du gouvernement concernant la responsabilité institutionnelle de l’Etat dans les violences à caractère politique du passé, lors de l’installation officielle de votre Commission.

L’Etat togolais ne conteste pas sa responsabilité pour avoir failli à son obligation d’assurer la protection et la sécurité de ses ressortissants pendant les éruptions de violences du passé. 

Il doit, en conséquence, octroyer aux victimes identifiées et recensées par votre Commission une juste et équitable réparation.

A toutes les victimes et à tous ceux qui ont souffert de ces violences aveugles qui leur ont causé tant de tort et de blessures je voudrais leur dire Pardon au nom de l’Etat togolais, en mon nom personnel et au nom des Chefs d’Etat qui ont eu à présider aux destinées de notre pays : Sylvanus OLYMPIO, Kléber DADJO, Nicolas GRUNITZKY, Eyadema GNASSINGBE, Abass BONFOH.

Je voudrais également leur dire que l’Etat, conscient de leur profonde détresse morale et psychologique, ne ménagera aucun effort pour prévenir et empêcher  la répétition de ces actes attentatoires à la dignité humaine. 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Commissaires,

Je voudrais vous assurer que le gouvernement étudiera avec soin et avec  la plus grande attention vos conclusions et vos recommandations que je sais par avance, pertinentes, efficaces et réalistes.

J’exprime avec vous l’espoir que vos sages recommandations contribueront largement à la réconciliation sincère des filles  et des  fils du Togo et à l’instauration d’une paix durable dans le cadre d’une société démocratique et prospère où il fait bon vivre.

Je vous remercie de votre attention.

Que Dieu bénisse le Togo.

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