Idées

Nouveau vent de guerre froide sur le monde

Vue d’Europe ou de Washington, l’impression domine que le monde entier s’est levé contre Poutine et sa guerre en Ukraine.

Opposition idéologique © republicoftogo.com

Vue d’Europe ou de Washington, l’impression domine que le monde entier s’est levé contre Poutine et sa guerre en Ukraine.

Cette impression est nourrie par la condamnation unanime de l’Occident et par ses efforts politiques, économiques et militaires pour aider l’Ukraine à résister. Mais il s’agit d’une perception occidentale, qui agit comme un miroir déformant de la réalité.

Depuis le début de la guerre, une partie du monde soutient ouvertement le régime de Vladimir Poutine, tandis qu’une autre s’abstient de le condamner, se réfugiant dans l’indifférence ou l’embarras. Et deux mois après le début de l’offensive, les crimes de guerre commis par les forces rus- ses en Ukraine n’ont pas modifié le positionnement de ces pays.

Le 2 mars, la résolution de l’ONU condamnant l’agression de l’Ukraine a été adoptée par 141 États. Mais elle a été rejetée par cinq pays, la Russie bien sûr, la Biélorussie, la Corée du Nord, la Syrie et l’Érythrée. Trente-cinq pays se sont abstenus.

Parmi eux, la plupart des alliés habituels de la Russie : Chine, Algérie, Inde, Viet- nam, Cuba, Iran... Les deux résolutions suivantes des Nations unies, sur les conséquences humanitaires de la guerre et la sus- pension de la Russie du Conseil des droits de l’homme, ont révélé les mêmes lignes de fractures.

Les raisons du soutien, tacite ou explicite, au régime de Poutine sont diverses. Contrairement à l’Europe, plus affectée par la crise en raison de sa proximité géographique et culturelle avec la Russie, de nombreux pays plus éloignés du front se sentent moins touchés par ses enjeux économiques et géopolitiques.

Certains soutiennent ouvertement le Kremlin, car ils dé- pendent de Moscou. La Biélorussie, redevenue un satellite de la Russie. La Syrie de Bachar el-Assad, qui doit sa survie politique à l’intervention militaire de la Russie.

Le Venezuela, dont le président Maduro est soutenu économiquement et politiquement par Moscou. Ailleurs, sur les autres continents, sauf en Europe – à l’exception de la Serbie et, dans une certaine mesure, de la Hongrie - et en Amérique, un silence consentant accompagne la guerre de Poutine en Ukraine. C’est le cas dans la plupart des pays du Caucase et d’Asie centrale, en- core très liés à Moscou dans les domaines économiques, militaires et diplomatiques.

C’est aussi le cas de la grande majorité des pays asiatiques, sauf les trois alliés traditionnels de l’Occident – Japon, Taïwan, Corée du Sud. Même la démocratie indienne, dont Moscou est le principal fournisseur d’équipements militaires, met en avant son statut de «non aligné».

Quant à la Chine, elle considère la Russie comme un allié indispensable dans son affrontement avec les États-Unis. Non seulement elle a refusé de condam- ner l’agression russe, mais elle a assuré le Kremlin d’une amitié « sans limite ». Elle s’est aussi op- posée aux sanctions occidentales et reprend la propagande russe qui fait des États-Unis et de l’Otan les responsables de la guerre.

Même tableau sur le continent africain, où un gros tiers des pays, dont l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, le Mali, la République centrafricaine et l’Afrique du Sud, refusent de s’opposer à Moscou. Certaines capitales, comme Bamako ou Bangui, sont prisonnières de leurs liens avec la société de mercenaires Wagner proche du Kremlin.

D’autres ne veulent pas mettre en danger leurs liens économiques et militaires avec la Russie. Quant au Moyen-Orient, il préfère dénoncer le deux poids deux mesures de l’Europe, qui accueille à bras ouverts les Ukrainiens alors qu’elle résistait à ouvrir ses portes aux réfugiés afghans et syriens.

Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont voté les résolutions de l’ONU condamnant la guerre, mais refusent d’appliquer les sanctions occidentales.

C’est aussi le cas d’Israël, qui ne veut pas mettre en danger son accord local avec l’armée rus- se, très présente dans la région, qui permet à son aviation de frapper des cibles iraniennes ou le Hezbollah en Syrie.

Quant à l’Iran, il partage avec la Russie les mêmes ennemis : les États-Unis et l’Otan et ce point commun suffit pour dé- tourner les yeux de l’Ukraine. Par- tout, les intérêts nationaux pri- ment sur les principes et les valeurs. C’est aussi vrai en Amérique latine, où Poutine peut compter sur le soutien de Cuba et le silence de Jair Bolsonaro au Brésil.

Bien que nombreux, les affidés de la Russie n’ont pas fait basculer le rapport de forces. Les résolutions de l’ONU ont été adoptées. De même que celles de l’Unesco où, grâce à l’action de la France, de l’Allemagne, de la Pologne et de l’UE ainsi qu’à la bataille acharnée livrée par les ambassadeurs, la Russie et ses alliés ont perdu trois fois : quand l’Unesco condamné la guerre ; quand elle reporté la 45e session du patrimoine mondial, prévue en juin à Kazan, à l’ouest de la Russie; et une troisième fois en attribuant le prix de la liberté de la presse à l’association biélorusse des journalistes. « Tout est fait pour montrer qu’il ne suffit pas de bombarder l’Ukraine pour dominer le monde », explique Véronique Roger-Lacan, l’ambassadrice de France à l’Unesco.

Pourtant, l’engagement nouveau et massif des États-Unis aux côtés de l’Ukraine, qui se fait aussi au nom de « valeurs », ajouté à l’anti-occidentalisme qui souvent sert de ciment aux pays refusant de condamner Poutine, dessine de plus en plus un nouveau monde.

Il s’organise en deux camps : celui des Occidentaux et des démocraties libérales et celui des dirigeants autocrates, qui poussent un contre-modèle.

Il est loin le temps où les néoconservateurs américains pensaient pouvoir imposer la démocratie de force en Irak en 2003, en espérant un effet domino et vertueux dans les autres pays du Moyen-Orient.

Aujourd’hui, le camp de la démocratie et des droits de l’homme se rétracte, quand celui des autoritaires et des anti-démocrates se renforce.

La crise ukrainienne, en cristallisant une opposition idéologique entre les deux camps, fait à nouveau souffler un vent de guerre froide sur le monde.

S’installera-t-elle à nouveau sur le long terme ? Beaucoup dépendra de l’intensité et de la nature du soutien chinois au régime russe.

Isabelle Lasserre © Le Figaro

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