Diplomatie

Décolonisation et indépendances africaines

24 heures après les commémorations du 14 juillet qui ont vu la présence sur les Champs Elysées de plusieurs chefs d’Etat africains, un Colloque international s’ouvre jeudi à Paris consacré à la « décolonisation et aux indépendances africaines ».
Plusieurs thèmes seront abordés dont « Développement et gouvernance de l’Afrique indépendante » ou « L’indépendance économique et énergétique de l’Afrique ».
Robert Dussey, le conseiller diplomatique du président du Togo*, interviendra au cours de la première journée.
Les travaux se déroulent pendant deux jours dans les locaux du Conseil régional d’Ile de France, 57 rue Babylone, à Paris.

Voici la communication de Robert Dussey sur le thème : « Elites africaines et développement : bilan et enjeux après 50 ans d’indépendance »
INTRODUCTION
Plus de cinq décennies sont passées, depuis les Indépendances africaines (les années 1960), et l’Afrique dans son ensemble, à l’exception notable de l’Afrique du Sud, est considérée comme un continent sous-développé.
Le sous-développement des pays africains se manifeste principalement dans la précarité économique qui compromet jusqu’à la vie même des êtres, au-delà de leur santé, de leur éducation, de leur alimentation. Le signe du sous-développement selon la plupart des auteurs se lisent certes dans plusieurs secteurs et à des niveaux différents, à l’intérieur de chaque pays, mais aussi d’un pays à l’autre. Le vocable de sous-développement prend du sens au regard des situations intérieures des pays d’Afrique (incapacité des Africains à satisfaire de façon correcte et autonome leur besoins, hiatus entre la démographie galopante, les ressources disponibles, et la qualité idéale de vie) qu’au regard des exigences extérieures au continent ; l’Afrique est sous-développée par rapport à l’Europe, à l’Amérique, à l’Asie, aux continents dans lesquels, plus qu’ailleurs, la science et la technique ont soutenu le souci d’améliorer les conditions générales d’existence. Il est vrai, ont peut trouver des espaces et d’autres formes de misère dans ces continents dits développés, mais alors que la pauvreté y est résiduelle, locale, marginale, il semble que dans le continent africain, elle soit massive.

Chez nous, ce serait plutôt la richesse qui serait limitée à telle ou telle classe sociale, tel ou tel Etat, à telle ou telle partie du continent. L’Afrique subsaharienne détient le triste record de la précarité massive. Le sous-développement de l’Afrique n’est pas un mythe, il est une réalité a laquelle les intellectuels ne doivent s’en cacher. Notre continent semble vraiment dans l’impasse, il ne vit pas, mais vivote entre la rareté des biens, l’impéritie de ses enfants aussi bien dans la production que dans la gestion et la répartition des biens, les catastrophes sanitaires, la sous-scolarisation, la mal-scolarisation, les conflits intra-nationaux et internationaux d’un autre âge. Les pays africains sont riches en ressources naturelles, pauvres en ressources humaines (d’où une forte dépendance vis-à-vis de l’expertise étrangère), pauvres en vision / capacité politique (d’où conflits permanents qui entraînent le pillage et la monopolisation des ressources et rendent impossible toute forme de stabilité et de sécurité pour les Etats, les populations et les investissements).
L’état actuel de l’Afrique impose a l’élite intellectuelle africaine un bilan serein de l’indépendance au regard des réalités mondiales actuelles.
DU ROLE DE L’INTELLECTUEL
Avec pour activité principale, la réflexion, l’intellectuel est celui qui pense ou diffuse la pensée. Sa mission lui commande d’œuvrer pour une meilleure connaissance de la réalité et être la lumière de la société dans la quelle il vit. Telle est la tache assurée par les intellectuels en Europe ou aux Etats unis. Sur l’échiquier mondial ou : « l’Afrique regroupe 80% des pays à faible indice de développement humain (IDH), 33 des pays les Moins Avancés sur 38, soit 45% de la population et 17% du PNB de ce groupe. A tous ces indices s’ajoute une nouvelle identification spécialement créée pour le continent : c’est celle des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE). Il s’agit des pays dont le revenu moyen par habitant est de 300 dollars US en baisse de 25% entre 1988 et 1990, et parmi lesquels trente-trois (33) sont africains » La mission de l’intellectuel africain toute consiste a s’informer correctement des réalités du monde et œuvrer contre vents et marées a l’éveil des consciences pour une modernisation industrielle des sociétés africaines.
Aujourd’hui force est de reconnaître l’échec patent de cinquante années de politiques de développement africain par le biais de la coopération multilatérale. Ainsi, en situation de crise généralisée, l’Afrique a grand besoin d’une profonde reforme intellectuelle et morale préalable a tout projet de développement basé sur l’industrialisation.
Manque de créativité
Un handicap sur lequel nous devons faire une auto-critique est l’insuffisante créativité intellectuelle de notre continent. Il faut se garder de voir le printemps dans les quelques initiatives qui s’affirment tant bien que mal dans le firmament culturel. La réalité est plutôt qu’il se produit trop peu d’idées et de valeurs culturelles. On peut même constater une nette régression par rapport à la génération des pionniers de l’indépendance, qui avaient compris au point d’en faire un slogan, la nécessité serinée à longueur de discours par des hommes comme Léopold Sedar Senghor, de « penser par soi-même et pour soi-même », ou comme Kwame Nkrumah, Cheikh Anta Diop, etc… qui s’étaient faits les chantres d’un nationalisme culturel qui avait certes, en son temps pu paraître suspect à certains intellectuels, surtout d’obédience marxiste, mais qui ne s’en était moins traduit par un effort d’originalité culturelle et de créativité, dont les résultats peuvent d’autant plus susciter notre légitime fierté que la reconnaissance de la contribution qu’ils représentent à l’enrichissement du patrimoine intellectuel mondial dépasse les limites de notre propre continent.
Certes, dans l’actuel déficit de création intellectuelle qui expose ce continent au rôle de simple consommateur d’idées, de savoirs et de valeurs produits ailleurs, il faudrait faire la part de ce qui est imputable à la détérioration continue des conditions d’existence et de travail des intellectuels.
Confrontés aux dures réalités de la vie quotidienne, et privés par ailleurs des bibliothèques et laboratoires dignes de ce nom, des instituts de recherches et de formations correctement équipés, que requiert une production intellectuelle qui soit à la fois dynamique et à la hauteur de critères de qualité qui deviennent de plus en plus exigeants, les intellectuels africains ne se sont assurément pas placés dans les meilleures conditions de compétitivité et même de créativité. Il faut également avoir à l’esprit la méfiance presque congénitale de certains gouvernants à l’égard des intellectuels, surtout lorsqu’ils n’arrivent pas à les domestiquer et à les confiner dans les rôles de faire-valoir.
La tendance, qui découle de là, à préférer à l’expertise locale le recours à des conseillers ou bureaux d’études étrangers à la compétence plus que douteuse parfois, n’est pas seulement frustrante mais aussi sclérosante pour les intellectuels africains. Cette peur d’utiliser les compétences locales, empêche les intellectuels de faire valoir leur savoir-faire et de donner la pleine mesure de leurs capacités en se confrontant avec les problèmes réels de la gestion au quotidien de leurs sociétés et en se soumettant de ce fait à l’exercice difficile mais hautement stimulant de la recherche. Les intellectuels africains doivent lutter contre la pensée unique des tenants d’un monde totalement dominé par le capitalisme.
Le refus de s’affirmer intellectuellement ressemble à un engourdissement de la pensée. Or pour les Africains, vu l’état du continent, l’enjeu d’une réflexion autonome, dynamique et originale, sur eux-mêmes aussi bien que sur le mouvement contemporain du monde, est plus que de taille dans le contexte actuel. Il s’agit en effet, au-delà du simple rééquilibrage, qui est loin de préoccuper nos bailleurs de fonds et nos gouvernants, de «notre balance commerciale intellectuelle devenue chroniquement déficitaire» au dire du philosophe sénégalais Sémou Pathé Guèye, de nous remettre nous même en situation de pouvoir poser au reste du monde nos propres questions, de leur apporter nos propres réponses, mais aussi de pouvoir apprécier à l’aune de nos propres critères et de nos propres priorités, la pertinence des questions que les autres nous posent et surtout celle des réponses qu’ils nous proposent et parfois nous imposent dogmatiquement.
Le contexte africain
L’intellectuel qui a pour mission principale la réflexion ne doit pas se dérober à cette tâche. Dans le contexte africain, sa mission lui recommande d’œuvrer pour une meilleure connaissance de la réalité du continent et d’être le phare de la société. Telle fut la tâche assurée par les intellectuels dans l’histoire des nations développées. Sur l’échiquier mondial actuel où l’Afrique est ballottée au gré du vent, la mission de l’intellectuel africain consiste à s’informer objectivement des réalités du monde et œuvrer contre vents et marées à l’éveil des consciences. La situation actuelle de notre continent nécessite un bilan objectif des cinquante années de l’indépendance au regard des réalités stratégiques, économiques, sociopolitiques, culturelles du monde.
Comme nous l’avons dit, les cinquante années d’indépendance se soldent aujourd’hui par la crise généralisée des sociétés africaines. Malgré les politiques de coopération bilatérale et multilatérale sous les auspices des Nations unies voire de l’Union européenne et celle d’intégration sous-régionale ou régionale africaine pour le développement dans le cadre de l’Union africaine, rares sont les pays africains à s’être mués en pays en voie d’industrialisation. Ils ont été confinés à demeurer des sources de matières premières et des marchés de consommation pour les sociétés industrielles avancées.
Face à une telle situation, la mission de l’intellectuel africain, convaincu qu’il n’y a pas de développement et de prospérité sans un minimum d’indépendance nationale, consiste à mieux connaître l’idéologie et les moyens de domination de ceux qui empêchent notre modernisation industrielle.
Pour ce faire, il faut visiter l’histoire des grandes nations industrialisées du monde pour se rendre compte qu’il n’y a pas de développement sans modernisation industrielle, donc sans la maîtrise du machinisme. Développer et démocratiser les sociétés africaines est une entreprise difficile qui prendra du temps. C’est désormais à l’intellectuel africain de penser la mutation globale de la société africaine qui ne peut se réaliser sans maîtrise de la machine, sans révolution scientifique et technique fondée sur une profonde réforme intellectuelle et morale.
CONCLUSION
Il n’y a probablement aujourd’hui aucun autre contient que l’Afrique où il est important pour les populations de se convaincre que l’histoire – n’en déplaire à Francis Fukuyama, défenseur du libéralisme comme pensée unique – n’a pas fini sa marche vers un monde qui sera différent du nôtre. Un monde qui n’appartiendrait qu’aux hommes et précisément aux Africains pour leurs luttes, de faire advenir et de rendre meilleur.
Il existe donc aujourd’hui pour nous, Africains, de très réels, de très certains motifs de confiance en dépit de certaines crises qui perdurent ça et là sur le continent. Si l’histoire prouve que les civilisations qui se trouvent à un moment donné confrontées aux menaces que leur lancent les périls extérieures et intérieures, peuvent survivre tant qu’elles sont capables de relever ce défi, affirmons sans crainte que le sursaut de volonté salvateur n’est nullement au-dessus des forces des filles et fils de notre continent.

* Robert Dussey est professeur de philosophie politique à l’Université de Lomé (UL) et auteur de l’ouvrage « L'Afrique malade de ses hommes politiques »

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