Idées

Démanteler un marché illégal de 200 milliards de dollars

Richard Amalvy

Imaginez un enfant malade dans un pays africain en développement, souffrant d'une maladie potentiellement mortelle et dont les parents sont désespérés.

La famille se voit proposer des médicaments à un prix qu'elle peut se permettre, mais - à son insu - cette offre émane de trafiquants de faux médicaments sans scrupules. La famille se sépare du peu d'argent qu'elle possède.

Elle administre, de bonne foi, un médicament qui, dans le meilleur des cas, n'aura aucun effet et, dans le pire des cas, nuira à l'enfant en ne traitant pas la maladie.

Pour près d’un quart de la population mondiale, cela pourrait être une réalité bien trop familière. Étonnamment, deux milliards de personnes n'ont pas accès aux médicaments, vaccins et dispositifs médicaux essentiels.

Là où il y a une demande, il y a une offre, et ce vide est trop souvent comblé par des médicaments de qualité inférieure et falsifiés, colportés par des organisations criminelles à la recherche de profits, quel qu'en soit le coût humain. 

Ces organisations vont tuer 122.000 enfants de moins de cinq ans, qui meurent chaque année à cause des antipaludéens de mauvaise qualité en Afrique subsaharienne. Et dans un certain nombre de pays africains, les médicaments falsifiés représentent entre 30 et 60% de l'ensemble des produits médicaux.

Au cours de la dernière période de quatre ans pour laquelle des chiffres sont disponibles, l'OMS indique avoir reçu 1.500 rapports de cas de produits non conformes aux normes ou falsifiés, le plus grand nombre de ces rapports provenant du continent africain. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, ce chiffre n'a fait qu’augmenter, ouvrant de nouveaux défis dans les chaînes d'approvisionnement avec des vaccins, des produits thérapeutiques et des diagnostics falsifiés en circulation.

Plus choquant encore, jusqu'à 169 000 enfants meurent chaque année de pneumonie à cause d'antibiotiques ou d'antipaludéens falsifiés ou de qualité inférieure, et 116 000 décès dus au paludisme pour des raisons similaires en Afrique subsaharienne.

En outre, la Covid-19 a amplifié le besoin urgent pour les pays africains d'investir dans une réglementation efficace et efficiente des médicaments, des produits médicaux et des technologies.

À cet égard, la ratification et la création de l’Agence africaine du médicament (AMA) sera un instrument essentiel pour renforcer la lutte contre les médicaments et produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés, et permettre à tous les patients d'Afrique d'avoir accès à des médicaments de qualité, sûrs et efficaces.

En janvier 2020, à l'initiative du Président de la République Togolaise, Faure Gnassingbé, la Fondation Brazzaville a organisé un sommet international à Lomé pour discuter des défis que les médicaments non conformes aux normes et falsifiés posent à la sécurité mondiale, aux chaînes d'approvisionnement et à certaines communautés africaines.

L'événement a réuni six chefs d'État et ministres africains de la République du Congo, du Ghana, du Niger, du Sénégal, du Togo et de l'Ouganda. Ensemble, ils ont lancé l'initiative de Lomé visant à criminaliser l'augmentation et la propagation des produits médicaux falsifiés et non conformes aux normes. La Gambie a récemment annoncé qu'elle se joignait également à cette lutte. L'OMS et l'Union africaine ont soutenu cette initiative mondiale unique.

Les sept États qui soutiennent aujourd'hui l’Initiative de Lomé se sont engagés à lutter contre le trafic de médicaments non conformes et falsifiés en ratifiant les accords internationaux existants, en introduisant de nouvelles sanctions pénales contre les trafiquants et en sensibilisant l'opinion publique à ce problème de santé publique.

Mais d'autres mesures peuvent être prises et le seront, par la mise en œuvre d'une feuille de route qui aidera spécifiquement à l'élaboration et à la mise en œuvre de plans nationaux pour combattre ce trafic dans sa dimension systémique par le biais de la sensibilisation, d'un cadre réglementaire plus solide et du renforcement des capacités. Ces plans devront être conçus de manière interministérielle.

La Journée de l'Afrique a lieu récemment, tout comme l'Assemblée mondiale de la santé. 

Ces événements faisaient suite au Sommet mondial de la santé qui s'est tenu en mai dernier, au cours duquel les dirigeants du monde entier ont appelé à la mise en place de chaînes d'approvisionnement en médicaments plus solides et plus transparentes, de systèmes réglementaires forts et d'un accès équitable aux fournitures médicales.

Pour poursuivre cette conversation vitale, la Fondation Brazzaville a rassemblé un autre groupe de leaders mondiaux pour continuer à discuter de cette question préoccupante de santé publique et de sécurité. 

Leur objectif, ainsi que celui de la Fondation Brazzaville, est de démanteler le marché illégal de 200 milliards de dollars de médicaments de qualité inférieure et falsifiés, qui représente jusqu'à 15% de tous les médicaments en circulation. 

Une table ronde, organisée fin mai, a abordé le problème suivant : bien que l'Afrique abrite 17 % de la population mondiale, elle ne produit qu'une petite partie des médicaments.

Les intervenants ont convenu que la mise en œuvre de l'initiative de Lomé serait primordiale pour répondre aux besoins des plus vulnérables en matière de médicaments essentiels. Il ressort des discussions récentes que la demande de médicaments essentiels excède l'offre dans les pays africains, ce dont profitent les activités illicites.

Après avoir fait le point sur les initiatives nationales et mondiales existantes et nouvelles, les intervenants ont évalué comment la Covid-19 a exacerbé le risque croissant de circulation de médicaments falsifiés et non conformes aux normes en Afrique.

Avec des personnalités de l'Union africaine, de l'Organisation mondiale de la santé et de l'ONUDC, nous avons discuté de la manière dont les systèmes de santé et les chaînes d'approvisionnement de demain peuvent être renforcés et dont notre sécurité et notre état de droit peuvent être améliorés.

Ce n'est qu'ensemble, en partenariat, que nous pourrons mettre en place des chaînes d'approvisionnement solides et des plans nationaux pour garantir que chacun ait accès à des médicaments et à des dispositifs médicaux de qualité et abordables, afin de parvenir à une couverture sanitaire universelle d'ici 2030. 

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Richard Amalvy, directeur général de la Fondation Brazzaville, Prof. Moustafa Mijiyawa, ministre de la Santé et de l'Hygiène Publique du Togo, Greg Perry, directeur général adjoint IFPMA, et Michel Sidibé, envoyé spécial pour l’Agence africaine du médicament de l’Union africaine

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