Santé

30 à 70% des anti-paludiques sont des faux !

L'ancien président français Jacques Chirac lance lundi au Bénin "l'appel de Cotonou", prélude à une campagne de mobilisation de sa Fondation contre les médicaments falsifiés qui font chaque année des dizaines de milliers de morts. Un phénomène qui, malheureusement, n'épargne pas le Togo. L'appel vise à inciter des responsables politiques du monde entier à se mobiliser contre ce trafic, qui, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), correspondrait à 10% du marché pharmaceutique mondial, soit quelque 45 milliards d'euros.

"Il est de notoriété publique que le trafic de faux médicaments est florissant et extrêmement rentable", a déclaré le Pr Marc Gentilini, délégué général pour l'accès aux médicaments de qualité de la Fondation Chirac. Selon lui, "il est en train de passer devant le trafic de drogue".Amor Toumi, de l'OMS, note qu'un comprimé de faux Viagra coûte 0,05 dollar à fabriquer et que le bénéfice est de 6.000 à 20.000%, selon qu'on le vende sur l'internet (3 dollars) ou sur le marché officiel (10 dollars).

200.000 vies, selon l'OMS, davantage encore, selon d'autres estimations, pourraient être sauvées chaque année s'il n'y avait pas de faux médicaments. Il y a eu 300 morts au Panama en 2006 à la suite de l'utilisation d'un excipient contrefait. Près de 100 bébés sont morts au Nigéria en 2008, après avoir absorbé du faux sirop de Paracétamol.

Sans compter les maladies mal soignées, dont la persistance suscite une méfiance des malades à l'égard de la médecine moderne.

"Quand il s'agit de faux Viagra ce n'est pas trop grave, mais quand il s'agit d'un médicament touchant une affection potentiellement mortelle comme des anti-paludiques ou des antibiotiques, c'est particulièrement redoutable", relève le Pr Gentilini.

Selon lui, 30 à 70% des anti-paludiques en circulation en Afrique sont de faux médicaments, totalement ou partiellement. "Le sous-dosage est catastrophique", dit-il.

Ces faux médicaments recèlent le plus souvent peu de principe actif voire, selon le Dr Robert Sebbag, vice-président de Sanofi-Aventis, "des substances hautement toxiques".

Les faux anti-paludiques ou antibiotiques se trouvent dans les pharmacies de rue ou de marché en Afrique ou en Asie.

Selon Faustin Kabeya, président du Conseil provincial de l'Ordre des pharmaciens de Kinshasa, il y a dans la capitale de la RDCongo "4.000 officines portant le nom de pharmacie", pour seulement 70 autorisées. "En se réveillant un matin, quelqu'un peut écrire +pharmacie+ sur sa boutique et personne ne dira rien contre ça".

"Le circuit de distribution officiel n'est pas respecté, l'importateur-distributeur n'est pas contrôlé, on ne sait pas à qui il vend et un médicament périmé ou faux peut rentrer dans le circuit et se retrouver partout", dit-il encore, regrettant qu'il n'y ait pas de "réelle volonté politique" pour lutter contre ce problème "très grave".

L'Afrique semble le continent le plus touché par ce trafic, que "l'on favorisera au détriment de la santé des malades, tant qu'on ne saura pas proposer de médicaments à bas prix dans des pays pauvres", souligne le Pr Gentilini.

L'OMS a essayé de renforcer la coopération mondiale avec la mise en place du réseau Impact, et les arrestations se sont multipliées.

Ainsi, l'an dernier, l'opération Storm a abouti en Asie à la saisie de 6,6 millions de dollars de faux antibiotiques et de faux traitements contre le sida. L'opération Pagéa, menée par Interpol contre le trafic de médicaments sur l'internet, a permis des saisies de médicaments contre le diabète, l'impuissance et l'obésité. Un réseau a été démantelé au Mexique.

INTERVIEW

Chirac : « Le trafic des faux médicaments est un véritable scandale »

Vous allez à Cotonou sensibiliser la communauté internationale au trafic de faux médicaments. Comment faire pour que les pays aillent au-delà des déclarations de principe ?

Jacques Chirac :

Le trafic des faux médicaments est un véritable scandale. Imaginez qu'en Afrique, ce sont 30% des médicaments qui sont faux ou sous-dosés. Quand on sait que 70% des médicaments antipaludiques sont des faux, on ne peut pas rester les bras croisés ! Aujourd'hui, je pense que la mobilisation des ONG et des Fondations peut être déterminante.

Je suis heureux que ma Fondation ait reçu sur cette initiative le soutien des Fondations Clinton et Gates. Il y a, vous le savez, une évolution positive au sein des Nations Unies et de l'Organisation mondiale de la santé.

La lutte contre les faux médicaments se fait à trois niveaux : le contrôle de la qualité des médicaments, avec des laboratoires efficaces et rapides comme celui dont la Fondation Pierre Fabre et la Fondation Chirac ont financé l'extension à Cotonou; la coopération douanière et policière contre le trafic international; les sanctions contre les producteurs, les trafiquants et les distributeurs. Plus qu'un enjeu, c'est une urgence de santé publique.

Quels moyens faudrait-il que la communauté internationale déploie pour lutter contre ce trafic ?

Jacques Chirac :

Nous avons besoin d'une base juridique pour agir. C'est pourquoi, avec l'Appel de Cotonou, je propose la tenue d'une conférence internationale sur le sujet dès l'an prochain. Il s'agit d'aboutir rapidement à une convention d'interdiction qui devra être signée et ratifiée par le plus grand nombre d'Etats. Il faudra ensuite que des ONG de patients, de médecins, de pharmaciens exercent, dans chaque pays, et en réseau, une pression pour que la convention soit appliquée. Il faudra également maintenir un dialogue incitatif avec les dirigeants politiques, au plus haut niveau. Nous n'arriverons pas à stopper le trafic international des faux médicaments sans une coordination douanière et policière renforcée. J'ai bon espoir : nous pouvons compter sur une nouvelle génération de responsables qui prend la mesure du phénomène.

Comment faire pour que les pays les plus fragiles puissent accéder à des produits de qualité ?

Jacques Chirac :

  Nous devons d'abord les aider dans la formation de leurs personnels de santé, des personnels souvent désarmés face aux faux médicaments. Il faut ensuite renforcer les moyens de contrôle et sécuriser l'approvisionnement des officines et des hôpitaux. Enfin, nous devons poursuivre et amplifier l'accès aux médicaments et aux médecins qui les prescrivent. Les financements innovants du développement, comme la taxe sur les billets d'avion, doivent, en priorité, servir à abaisser ces coûts d'accès à la santé dans les pays pauvres.

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