A l’initiative du Rwanda, qui assure la présidence tournante du Conseil de sécurité au mois d’avril, un débat est organisé mercredi à New York sur la thématique "Femmes, Paix et Sécurité ».
S’exprimant dans la matinée, le représentant du Togo aux Nations Unies, Kadangha Limbiyé Bariki (photo), a dressé un constat pessimiste. « En dépit de la ferme volonté exprimée par les Etats membres des Nations Unies (…) d'éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes, notamment en mettant fin à l'impunité et en assurant la protection des civils, en particulier des femmes, pendant et après les conflits armés, celles-ci subissent toujours les plus graves violations de leurs droits », a-t-il déclaré.
Et le diplomate de pointer du doigt les prédateurs comme le M23 en RDC, le FDLR au Rwanda, la coalition Séléka en Centrafrique, la LRA en Ouganda ou des éléments des forces gouvernementales dans certains pays.
Pourtant, les bonnes volontés ne manquent pas. Malgré toutes ces difficultés, des actions courageuses sont entreprises par les Nations Unies, notamment ONU-Femmes, le Département des Opérations de maintien de la paix, et nombre d'organisations internationales et non gouvernementales, a rappelé M. Bariki.
Le Togo salue tous les efforts fournis pour lutter contre ce fléau, mais demande en même temps à la communauté internationale de se mobiliser davantage pour mettre fin au fléau comme elle le fait dans le cadre de la lutte contre les graves maladies.
Membre du Conseil de sécurité, le Togo assurera la présidence rotative au mois de mai prenant le relais du Rwanda.
Voici le discours de l’ambassadeur togolais
Madame la Présidente,
Je voudrais remercier votre pays, la République du Rwanda, d'avoir organisé le débat de ce jour, sur la thématique "Femmes, Paix et Sécurité "et saluer votre présence parmi nous, pour diriger ces travaux.
Je voudrais aussi féliciter Mme Zainab Bangura, Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit armé pour son engagement à consolider les avancées réalisées au programme d'action établi par sa prédécesseur. Nous lui réitérons notre plein soutien.
Madame la Présidente,
En dépit de la ferme volonté exprimée par les Etats membres des Nations Unies dans le Document final du sommet de 2005, d'éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles, notamment en mettant fin à l'impunité et en assurant la protection des civils, en particulier des femmes et des filles, pendant et après les conflits armés, celles-ci subissent toujours les plus graves violations de leurs droits.
Aujourd'hui, les violences sexuelles ont atteint un niveau intolérable. De fait, les femmes et les filles sont victimes de violences de toutes sortes, particulièrement le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse ou la stérilisation forcée, le mariage forcé, les enlèvements, ou toutes autres formes de violence. Le nombre de personnes victimes de violences sexuelles a augmenté particulièrement en Afrique avec l'apparition de nouveaux groupes armés, tels que le Mouvement du 23 Mars (M23), les Mai-Mai Morgan, les forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les rebelles de la coalition séléka. A certaines occasions, des éléments des forces gouvernementales des pays en conflit ont eu aussi à commettre les mêmes violations. Depuis quelque temps, le viol est devenu une tactique de guerre destinée à humilier l’ennemi et à asseoir sa domination.
Les chiffres portant sur les violences faites aux femmes et aux filles sont considérables, particulièrement en République Centrafricaine où opèrent les rebelles de la coalition Séléka, et ceux de l'Armée de résistance du Seigneur ( LRA).
Au Mali par exemple, on a noté aussi une augmentation du nombre de violences sexuelles, au moment où la région septentrionale était occupée par des groupes rebelles. Plusieurs dizaines de cas de violence sexuelle ont été recensés.
Nous passons délibérément sous silence la situation à l'Est de la République Démocratique du Congo où depuis plusieurs années, les femmes et les enfants constituent les cibles privilégiées des groupes armées. Les atrocités commises sont parfois indescriptibles.
Au vu de ces atrocités inimaginables, il nous vient de nous demander pourquoi cela. La recherche des causes sous-jacentes de ces violences nous amène à déduire qu’elles sont liées, principalement à des considérations économiques et sociales.
En effet, pour des raisons économiques, les groupes armés organisent les violences sexuelles pour obliger le déplacement des populations afin de contrôler et de piller les riches ressources naturelles des régions où ils opèrent. De même, ils exercent des violences contre des communautés entières, souvent sur des bases raciales, ethniques ou religieuses dans le but d’asseoir la domination de leur propre groupe ethnique afin d'assouvir ses ambitions politiques.
Madame la Présidente,
Une autre question que nous nous posons porte sur les raisons qui expliquent non seulement, la persistance de ces graves violations des droits de l'homme, mais aussi l'accroissement exponentiel du nombre des victimes.
Il y a d’abord des raisons sociologiques qui sont liées au refus des femmes et des filles de dénoncer les faits en raison de représailles, de stigmatisation ou par crainte d'être punies ou rejetées par leurs conjoints ou leur communauté.
Il nous semble ensuite qu’une des raisons tient au fait que, les parties au conflit ne respectent pas les obligations découlant des instruments juridiques internationaux pertinents sur le droit humanitaire et les droits de l'homme en période de conflit armé, en particulier les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977.
De même, il s’est avéré que les Etats Parties aux nombreuses autres conventions telles que la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et son protocole facultatif, la convention relative aux droits de l'enfant et ses protocoles facultatifs, manquent de volonté politique pour mettre en œuvre leurs dispositions.
En outre, il ressort que les nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et les déclarations de son président ne sont pas appliquées par les Etats et surtout par les belligérants. Elles sont simplement ignorées par les parties prenantes à qui incombe pourtant la pleine responsabilité de leur application.
Enfin, et ce n'est pas limitatif, les mécanismes d'alerte mis en place dans les missions d'opération de maintien de la paix montrent leur limite à protéger efficacement les femmes et les filles en période de conflits armés.
Pour toutes ces raisons, il importe que les mesures déjà prises par les Nations Unies soient renforcées pour assurer le respect de tous les instruments et résolutions pertinents, à travers notamment l’engagement ferme de la responsabilité des Etats et de tous les protagonistes des conflits dans les cas de violations graves des droits de l’homme.
Il faudrait surtout ériger l’impunité en règle, et à cet égard, les Nations Unies devraient aider les Etats à mettre en place des mécanismes de coopération appropriés, notamment à travers des accords bilatéraux ou régionaux d’extradition des auteurs.
De même, il faudrait mettre en place des mécanismes efficaces qui prennent en comptes les besoins des femmes victimes de violence sexuelle, souvent abandonnées à leur sort.
Madame la présidente,
La communauté internationale, et surtout les Nations Unies doivent s'impliquer davantage, sur le plan juridique, dans la recherche de solutions à la commission et à la poursuite des actes horribles et répréhensibles que sont les violences sexuelles, particulièrement le viol. Cela implique qu'il faut encourager le recours aux tribunaux nationaux et/ou internationaux compétents pour appréhender les auteurs et lutter contre l'impunité.
Malheureusement, dans ce domaine, la justice éprouve elle-même quelques difficultés à se matérialiser pour des raisons suivantes, entre autres :
- le système judiciaire est souvent caractérisé par sa lenteur et son manque d'indépendance;
- les commissions d'enquêtes internationales ne disposent pas toujours de moyens adéquats pour établir les faits objectifs ;
- le manque de coopération entre les Etats et les juridictions internationales, en matière d'exécution des mandats d'arrêt et autres décisions ;
Madame la Présidente,
Malgré toutes ces difficultés et entraves, il y a lieu de constater que des actions courageuses sont menées par les Nations Unies, notamment ONU-Femmes, le Département des Opérations de maintien de la paix, et nombre d'Organisations internationales et non gouvernementales.
Le Togo salue donc tous ces efforts fournis pour lutter contre ce fléau et accueille avec satisfaction les recommandations contenues dans le rapport du Secrétaire général S/2013/149. Il estime aussi que la communauté internationale devra se mobiliser davantage pour mettre fin à ce mal comme elle le fait dans le cadre de la lutte contre les graves maladies. A cet égard, plusieurs mesures devraient être prises tendant à:
- promouvoir les changements dans les comportements socioculturels des femmes et des hommes en vue d'éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions et toute autre pratique fondés sur l'idée de l'infériorité des femmes, et donc à leur utilisation comme des objets en période de conflit armé;
- encourager tous les membres de la société, en particulier les hommes et les garçons, à contribuer activement à la prévention de toutes les formes de violences en tant de paix;
-promouvoir ou conduire régulièrement, et à tous les niveaux, des campagnes ou des programmes de sensibilisation pour accroitre la prise de conscience et la compréhension, par le grand public, des différentes manifestations et conséquences des formes de violence faites aux femmes, particulièrement les violences sexuelles qui ont de graves conséquences sur les femmes elles- mêmes, la société et le développement;
- promouvoir la coopération entre les juridictions internationales et les tribunaux nationaux en vue de poursuivre, d'arrêter et de traduire en justice, les auteurs de violences afin de mettre fin à la culture de l'impunité.