La laborieuse négociation de nouveaux accords commerciaux risque d'empoisonner le sommet UE-Afrique ce week-end à Lisbonne, preuve de la difficulté des Européens à instaurer des relations plus équilibrées avec leurs anciennes colonies. "C'est la grande crainte des Européens. C'est pour ça qu'ils vont essayer de tenir ce genre de discussions autant que possible à l'écart" du sommet, estime San Bilal, expert au Centre européen de gestion des politiques de développement.
Mais les Européens auront du mal à empêcher les Africains les plus en colère de mettre le sujet sur la table.Ces accords de partenariat économique (APE), qui doivent remplacer le régime commercial préférentiel accordé par l'Europe aux pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), prévoient l'ouverture progressive des marchés ACP. Faisant craindre à ces pays parmi les plus pauvres de la planète une arrivée massive de produits européens moins chers.
Signer ces accords "revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés", affirme ainsi le président sénégalais Abdoulaye Wade, qui a prévenu qu'il ne signerait pas.
M. Wade, fer de lance de l'opposition aux APE, "abordera le sujet si les autres ne le font pas" lors du sommet, assure son porte-parole El Hadj Amadou Sall. Et "il fera tout pour que les autres pays africains ne signent pas non plus".
D'autres accusent Bruxelles d'utiliser la date butoir du 31 décembre pour augmenter la pression.
"Ironiquement, le thème du sommet UE-Afrique est le partenariat, mais ces négociations commerciales sont loin du partenariat, c'est de l'imposition", dénonce Emily Jones, de l'ONG Oxfam.
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a en effet donné jusqu'à la fin de l'année aux Européens pour remplacer leur système de préférences tarifaires.
Mais après cinq ans de négociations, seuls 15 pays- dont 13 africains - sur 78 ACP ont conclu un accord, et la plupart des autres n'y parviendront pas dans les temps.
La Commission a donc renoncé à des accords complets couvrant les marchandises et les services, pour se concentrer sur les marchandises. Elle s'est également résolue à éclater les six régions avec lesquelles elle négociait, pour conclure des accords avec certains pays seulement.
La Commission voulait ainsi éviter de relever le 1er janvier les barrières douanières européennes sur les produits ACP (hormis ceux de la quarantaine de Pays les moins avancés qui bénéficieront toujours d'un régime préférentiel), qu'entraînerait l'absence totale d'accords. Mais elle a déclenché de nouvelles critiques.
Certains responsables africains accusent ainsi Bruxelles de tenter de "diviser pour régner" en signant des accords pays par pays, rompant ainsi une solidarité régionale déjà très difficile à instaurer, rapportent des sources proches des négociations.
Cette intégration est pourtant un des objectifs clé du nouveau "partenariat stratégique" entre les deux continents qui doit être adopté au sommet, selon San Bilal.
La Commission rejette toutes ces critiques, assurant être animée uniquement par des intentions "généreuses".
"Les APE ont fait l'objet d'une campagne menée par des ONG très mal informées", s'est défendu mercredi le commissaire au Commerce Peter Mandelson, qui n'a pas été invité à participer à ce sommet.
"Les réformateurs de ces pays reconnaissent ces accords pour ce qu'ils sont: un effort pour permettre à ces pays de profiter de certains bénéfices de la mondialisation".