Evincé du Togo il y a quelques semaines, Jacques Dupuydauby, le patron de la société espagnole Progosa ne digère toujours pas cette humiliante retraite. Dupuydauby, à l'ego surdimensionné, semble définitivement avoir perdu son combat qui l'opposait au groupe Bolloré depuis près d'une décennie. Son image d'industriel et de mécène, via sa fondation, en prend un sérieux coup, non seulement à Lomé, mais dans les autres capitales africaines où il prétendait bâtir un empire dans la manutention portuaire.
Cette affaire purement industrielle qui a vu Bolloré récupérer ses actifs au port de Lomé et reprendre du même coup l'activité jadis menée par Progosa au terme d'une longue procédure, n'est pas du goût de Dupuydauby qui tente d'accréditer la thèse d'une cabale menée contre lui par l'entourage du président Faure Gnassingbé. Les attaques personnelles fusent ; les menaces également. Jacques Dupuydauby déclare à l'AFP « détenir des "documents très embêtants" et affirme attendre des "émissaires" du gouvernement togolais en Espagne.
En attendant d'hypothétiques messagers venus de Lomé, Dupuydauby a rapidement déconnecté le site institutionnel de sa société -curieux pour une entreprise à vocation panafricaine- pour lancer son blog où il donne libre cours à son hystérie.
Rumeurs, fausses informations, documents pseudo-confidentiels livrés aux lecteurs et insultes à l'endroit des collaborateurs du président Faure Gnassingbé constituent l'essentiel du contenu à l'intérêt, il faut l'avouer, bien limité et pathétique pour son animateur.
Le patron de Progosa, dont l'élégance n'était pas la première des qualités, touche là vraiment le fond.
Dupuydauby fait bien l'objet d'un mandat d'arrêt international
"(…) nous avons pu constater qu'en dehors de la fraude fiscale, il (Jacques Dupuydauby, ndlr) a commis de l'escroquerie, de l'abus de confiance, du faux et usage de faux et de complicité de faux et usage de faux. (…) Je vous dis que M.Dupuydauby a bel et bien fui le Togo, ainsi que son enfant et l'un de ses collaborateurs". Ces propos sont rapportés mardi par l'agence privée togolaise Savoir News qui a interrogé le procureur de la république, Robert Bakaï.
Ce dernier confirme par ailleurs qu'un mandat d'arrêt international a été décerné contre M.Dupuydauby, ainsi que son fils Vianney et le directeur juridique Gérard Perrier.
LU DANS L'UNION
Malgré le départ de Jacques Dupuydauby
La manutention toujours active au Port de Lomé
Nommé par l'ordonnance n°973/09 du 27 mai 2009 du président du tribunal de première instance de première classe de Lomé, sur saisine de l'Etat togolais et certains des autres actionnaires, le nouveau mandataire de justice de SE2M et SE3M Pascal Coti (venu du groupe Bolloré) veut vite rétablir la santé financière desdites sociétés et garantir leur place dans l'économie togolaise. Et selon le plan mis en place, aucune diminution du personnel n'est envisagée. De quoi ne pas d'ores et déjà encourager la déception et le découragement au sein d'une équipe qui n'a guère manqué à son devoir. Dans les coulisses, on signale que toutes les pistes seront explorées, même s'il faut faire appel à l'expertise extérieure pour accroître le rendement. Visiblement, le redressement fiscal de 12 milliards qui frappe ces entreprises n'émousse pas les ardeurs et les innovations. On veut plutôt relever un défi par un juste rétablissement dans ses droits pour le groupe Bolloré avec cette administration judiciaire provisoire. «Le directeur général provisoire doit opérer dans la continuité», dit-on, jusqu'à la nomination d'un D.G. par un prochain Conseil d'administration. Loin des spéculations sur une influence directe de l'extérieur qui aurait consacré un non droit.
Jusque-là appartenant au groupe Progosa du sieur Jacques Dupuydauby, les sociétés SE2M et SE3M interviennent dans les activités de manutention au Port autonome de Lomé depuis août 2001. Depuis le 27 mai 2009, un mandat d'arrêt international poursuit Gérard Perrier (directeur juridique de SE2M) et Vianney Dupuydauby pour assistance du délit de fraude fiscale reproché à Jacques Dupuydauby entre 2007 et 2009. Sur réquisition du procureur de la République.
La justice avait déjà donné raison à Bolloré depuis 2006
En réalité, tout était dit depuis 2006 en faveur du groupe Bolloré au point que certains ne parlent que d'un effet suspensif de la décision par l'appel interjeté par le conseil des sociétés SE2M et SE3M. Ce qui est sûr, les événements se sont trop vite accélérés contre Jacques Dupuydauby et les siens courant mai 2009.
Rendu sous le n°100/2006 du 3 février 2006, à la demande des sociétés SOCOPAO (de droit français) et SDV-TOGO, le jugement du tribunal de Lomé déclarait «nulles et de nuls effets les conventions du 28 mars 2005 prises par les présidents du Conseil d'administration des sociétés SE2M et SE3M pour la tenue du conseil à Séville en Espagne». Et annulait «toutes les écritures passées dans les registres des sociétés requises relativement aux transferts des actions SE2M et SE3M par la société Participaciones Ibero Internacionales SAU (P2i Espagne SAU) au profit de la société de droit luxembourgeois Participaciones Ibero Internationales (P2i Sarl)» et «toutes les délibérations adoptées par les assemblées générales des sociétés SE2M et SE3M tenues le 29 juin 2005». SE2M et SE3M étaient ainsi condamnées à payer à chacune des sociétés requérantes 10 millions de francs Cfa à titre de dommages et intérêts à la partie demanderesse. Mais, par exploit en date du 7 février 2006, lesdites sociétés ont relevé appel du jugement et, à titre reconventionnel, exigé une condamnation à 20 millions et 300 millions pour préjudice subi. Finalement, le 28 mai 2009, la Cour d'appel de Lomé rend son dispositif : «Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties, en matière commerciale et en appel. En la forme : reçoit l'appel des sociétés SE2M et SE3M-TOGO. Au fond : le déclare non fondé ; confirme en conséquence le jugement n°100/2006 du 3 février 2006 en toutes ses dispositions ; reconventionnellement, condamne les appelantes SE2M et SE3M-TOGO à servir aux intimées la somme de 90 millions FCFA à titre de réparation pour appel abusif et vexatoire ; condamne les appelantes aux dépens».
Pur langage technique ! Mais une constance sur l'origine du faux a jailli de la discussion et des pièces versées au dossier. SE2M et SE3M sont des sociétés anonymes de droit togolais dirigées toutes deux par Jacques Dupuydauby en qualité de président du conseil d'administration. Le Togo soucieux de libéraliser en deux phases d'exécution successives la manutention au Port de Lomé a, par convention du 29 août 2001, confié à la SE 2M par le biais de Jacques Dupuydauby la concession de l'activité d'arrimage de conteneurs dans le Port, et le permis d'arrimage des marchandises générales à la SE 3M, toujours par le canal de Dupuydauby. La société P2i Espagne SAU de droit espagnol (une filiale du groupe Bolloré) a son siège en Espagne et dirigée par Jacques Dupuydauby. La SOCOPAO , filiale du groupe Bolloré, détenait 15% des actions de SE2M et la SDV , encore une filiale de Bolloré, détenait 30% des actions de SE3M. Par contre, P2i Espagne SAU détenait la majorité des actions de SE2M et SE3M depuis le début de la concession de la manutention aux deux sociétés de droit togolais. La société P2i Espagne ne remplissant pas les conditions exigées par l'Etat togolais a dû se rallier au groupe Bolloré qui en a pris le contrôle. En conséquence, le groupe contrôlant la P 2i Espagne contrôle également SE2M et SE3M car seul ce ralliement a permis à P2i Espagne d'avoir les moyens financiers et de profiter de la qualité de manutentionnaire du groupe Bolloré pour remplir les conditions fixées par le Togo.
La grande majorité des actions de SE2M est détenue par P2i Espagne SAU, une filiale de Bolloré, soit 75% contre 15% pour SOCOPAO, 5% pour le Port de Lomé et 5% pour divers petits actionnaires ; SE3M est entièrement constituée par Bolloré à travers P2i SAU (70%) et la SDV (30%). Par contrat en mars 2005, P2i SAU a cédé à la société P2i Sarl, une tierce société de droit luxembourgeois, 15.035 actions de SE2M au prix de 1.566.088.513 FCFA et 13.980 actions de SE3M pour un prix de 1.398.000.000 FCFA. Et, pour donner un agrément à la société acquéreuse P2i Luxembourg, le PDG a fait convoquer le 28 mars 2005 les conseils d'administration à Séville en Espagne pour le 30 mars 2005. Seulement, les convocations ne sont parvenues au siège de la SDV que le 29 mars 2005 et le report demandé n'avait été accordé. Les conseils ont été tenus le 30 mars à Séville, «en l'absence du groupe Bolloré, actionnaire majoritaire, et même propriétaire des sociétés SE2M et SE3M».
Ce que rejette la Cour d'appel de Lomé, car la présence de l'actionnaire majoritaire était quasiment indispensable surtout que l'ordre du jour annonçait l'approbation de l'agrément d'un nouvel actionnaire. Le juge parle d'un préjudice aux droits des intimées «en ce sens que leurs actions dans SE2M et SE3M ont été à leur insu cédées à une tierce société et sans le moindre consentement de leur part».
La société SE2M dépose trois plaintes
Tout part du constat d'huissier fait le 29 mai 2009 dans les locaux de la SE2M, sur demande de Pascal Coti, agissant en qualité de mandataire de justice provisoire «pour les besoins urgents de fonctionnement». En présence du Directeur administratif et financier, du chef informatique et ses collaborateurs. Au finish, les 4 premiers serveurs sont dépossédés chacun de ses 5 disques durs et le 5è serveur de trois disques de données. Des logiciels et l'ensemble des données comptables ont disparu. Le reste du matériel est, lui, toujours en bon état. Aussi, pour le Conseil de la Société d'entreprise de manutentions maritimes (SE2M) et de la Société d'entreprise de moyens et de manutentions maritimes (SE3M), Me Gagnon Toble, il s'agit «incontestablement de vols et de destructions volontaires planifiées et réalisées par leur(s) auteur(s) dans le but de les paralyser dans le cadre de leurs activités et notamment de leurs missions de service public relatives à la manutention portuaire». Il porte plainte contre X pour vol et destruction de biens punis par les articles 97, 98 et 132 du Code pénal.
Une seconde plainte vise le sieur C.B. et autres pour abus de confiance depuis la même date (4 juin 2009). En l'espèce, SE2M a consenti, le 27 août 2008, un emprunt de un milliard de francs Cfa auprès d'une banque à Lomé, pour un besoin en fonds de roulement et la réalisation de travaux ponctuels. Contre le nantissement par le sieur Dupuydauby portant sur une grue de la SE2M pour un montant de 1,3 milliard. En décembre 2008, un contrat est signé avec une société basée à Dubaï par le sieur C.B. pour l'acquisition de 3 matériels de manutention à plus de 4,1 milliards. Contre toute attente, la livraison doit se faire à Dakar où SE2M n'exerce aucune activité.
Puis, un ordre de virement est émis au profit de la société fournisseur pour 885,6 millions FCfa (une partie de l'emprunt bancaire). Seulement, près de six mois après, aucune prestation n'est effectuée. On parle d'un contrat fictif qui n'avait pour but que de détourner. Et la banque réclame le remboursement des échéances du prêt et menace d'exiger la réalisation du nantissement de la grue, actif très important pour l'exploitation de la SE2M.
La troisième plainte est dirigée depuis le 9 juin dernier contre Jacques Dupuydauby, Gérard Perrier et autres pour faux et usage de faux, complicité de faux et d'usage de faux, abus de confiance et complicité d'abus de confiance, escroquerie et complicité d'escroquerie. Ici, on cite des remises mensuelles de plusieurs millions sur les tarifs relatifs aux mouvements import/export de conteneurs manutentionnés par SE2M pour une autre unité basée au Port de Lomé. Et ce depuis le 1er janvier 2007. Le Commissaire aux comptes, lui, ne retrouve pas les documents pour se prononcer sur la validité et la sincérité des remises. De sources judiciaires, on découvre plutôt un compte bancaire en Espagne, à Séville, géré par le sieur Jacques Dupuydauby et alimenté par le versement de certains clients de SE2M. Puis, l'ordre est donné pour virer finalement les sommes sur un compte numéroté au Luxembourg n'appartenant pas à SE2M, mais à un titulaire identifié par des chiffres.
© L'Union du 16 juin 2009