Diplomatie

Non-alignement actif : quand le Togo discute sécurité et business avec la Russie

Le président du Conseil togolais Faure Gnassingbé est arrivé mardi dans la capitale russe pour une visite officielle de deux jours. 

Lomé parle à tout le monde © republicoftogo.com

Le président du Conseil togolais Faure Gnassingbé est arrivé mardi dans la capitale russe pour une visite officielle de deux jours. 

Au programme : un tête-à-tête très attendu ce mercredi avec Vladimir Poutine. Dans un contexte international particulièrement tendu – l’offensive militaire russe en Ukraine s’est intensifiée ces dernières semaines sans qu’aucune perspective de cessez-le-feu ne se dessine à l’horizon – ce déplacement suscite de nombreuses interrogations, tant à Lomé que dans les chancelleries occidentales.

Les autorités togolaises avancent un argumentaire rodé et cohérent avec la tradition diplomatique du pays. « Le Togo discute avec tous les partenaires, sans exclusive idéologique », répète-t-on dans l’entourage De M. Gnassingbé.

Europe, États-Unis, Chine, Turquie, pays du Golfe, acteurs du Sud global… et Russie. « Du dialogue naissent les solutions », martèlent les officiels.

Cette posture de « non-alignement actif » n’est pas nouvelle. Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, Faure Gnassingbé a fait du Togo une plateforme de dialogue régional et continental, accueillant aussi bien des sommets Afrique-Union européenne que des forums avec la Russie ou la Chine. Lomé refuse de choisir un camp dans la nouvelle guerre froide qui oppose l’Occident à l’axe russo-chinois.

Selon les sources togolaises et russes, les entretiens porteront sur trois axes principaux :

Coopération économique bilatérale

Les échanges commerciaux entre le Togo et la Russie restent modestes (environ 120 millions de dollars en 2024), mais Moscou manifeste un intérêt croissant pour le port en eau profonde de Lomé, hub logistique ouest-africain stratégique, et pour les phosphates. Des projets dans l’énergie (nucléaire civil avec Rosatom), les infrastructures et l’agriculture sont également à l’étude.

Conflits mondiaux et multilatéralisme

Faure Gnassingbé devrait évoquer la guerre en Ukraine et ses conséquences dramatiques sur les prix des céréales et des engrais en Afrique de l’Ouest. Lomé, comme beaucoup de capitales africaines, refuse de condamner explicitement la Russie à l’ONU et appelle à une « solution négociée ».

Menace terroriste au Sahel et en Afrique de l’Ouest

C’est probablement le point le plus sensible. Le Togo a subi plusieurs attaques djihadistes depuis 2021 (notamment à la frontière avec le Burkina Faso) et a décrété l’état d’urgence sécuritaire dans les régions du Nord. Si l’armée togolaise reste équipée et formée majoritairement par la France et les États-Unis, Lomé regarde avec intérêt le modèle russe déployé chez ses voisins sahéliens.

Depuis le départ des forces françaises (opération Barkhane) et l’arrivée des instructeurs russes (ex-Wagner, aujourd’hui Africa Corps), le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont reçu plusieurs centaines de militaires et de matériels russes : hélicoptères Mi-17, drones, systèmes de guerre électronique. Ce soutien a permis à ces trois pays de reprendre l’initiative sur certains théâtres d’opérations, même si les bilans humains et les accusations de violations des droits humains restent très controversés.

Le Togo, qui partage plus de 800 km de frontière avec le Burkina Faso, craint un effet domino. « Nous avons besoin de tous les partenariats possibles pour protéger nos populations », confie un haut responsable sécuritaire togolais sous couvert d’anonymat. Des discussions seraient déjà en cours pour une éventuelle coopération militaire renforcée avec Moscou, sans pour autant rompre les liens historiques avec Paris et Washington.

À Bruxelles et à Washington, on observe la séquence avec une certaine crispation. Le Togo reste un partenaire fiable de l’Occident : membre du Conseil de sécurité de l’ONU en 2022-2023, il a souvent voté avec les résolutions occidentales (sauf sur l’Ukraine), accueille des exercices militaires américains et bénéficie de l’aide française de lutte antiterroriste.

Mais la realpolitik africaine rattrape les principes. Plusieurs chefs d’État ouest-africains (Guinée, Sénégal, Côte d’Ivoire récemment) ont multiplié ces derniers mois les contacts avec Moscou. La visite de Faure Gnassingbé s’inscrit dans cette tendance : diversifier les partenariats dans un monde où les grandes puissances se disputent à nouveau l’Afrique.

En fin de journée mercredi, un communiqué conjoint est attendu. Il devrait réaffirmer la « souveraineté » des choix togolais et appeler à un « ordre mondial plus juste ». Des mots qui, à Lomé comme à Moscou, ont un sens très précis.

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